Among The Living
Interview

Entretien avec Emmanuel JESSUA d’HYPNO5E

Nous nous sommes entretenus avec Emmanuel JESSUA, guitariste et chanteur du groupe HYPNO5E à l’occasion de la sortie de leur cinquième album A Distant (Dark) Source


A Distant (Dark) Source - hypno5e


Bonjour, pourrais-tu s’il te plait te présenter rapidement ?

Bonjour, je suis Emmanuel. C’est moi qui ai monté le groupe Hypno5e je ne peux pas trop dire combien de temps il y a, mais… beaucoup. Je suis guitariste, chanteur, je fais aussi le piano et les orchestrations qu’il y a dans les enregistrements, je compose et je réalise également les clips du groupe.

Gros travail !

Oui c’est ça.

Comment définis-tu Hypno5e ? Musicalement et au niveau du line up. Hypno5e c’est plus qu’un style, c’est très vaste non ?

Dans l’idée, surtout depuis que nous avons fait le dernier album acoustique avec le film, il y a vraiment une volonté de toucher à beaucoup de choses, que ce soit le cœur d’un milieu d’expérimentation où je peux intégrer des projets comme « Alba » ou le film ou encore des albums plus traditionnels comme on fait depuis le début. C’est un projet lié à l’image. A la volonté de mettre en musique des espaces liés au voyage, il y a toujours quelque chose de très mélancolique dans ce que nous composons. Une espèce de quête de quelque chose qui a disparu. C’est un peu l’endroit où je vais chercher des choses que j’ai pu perdre pour les mettre en musique et essayer de les retrouver un instant.

Du coup, tu as mis exactement les mots, c’est une sorte que quête du passé un peu systématique, il y a presque des fantômes du passé. C’est ton histoire ? C’est quelque chose qui t’est propre ?

Alors je n’ai pas forcément une vie rude, je n’ai pas forcément perdu des choses, ce sont juste des sensations. C’est plus ce que peut produire l’imaginaire ; c’est la mélancolie en elle-même qui me plait. C’est-à-dire que lorsque je parle de la Bolivie c’est parce que ça se passe là, ce n’est pas forcément que j’ai envie d’y retourner ou quoi que ce soit. C’est le fait de ne pas pouvoir y être qui fait qu’il y a un manque. Quelque part quand je compose ou que je travaille sur des choses pas forcément en rapport avec Hypno5e, j’essaye d’incarner en musique cet espace dans lequel je ne peux pas être. C’est plus le processus de la nostalgie qui m’anime. C’est bien sûr un peu lié à moi du fait que mes parents ont beaucoup bougé et que très tôt j’ai compris que je vivais des choses qui se transformeraient très vite en mémoire. C’est comme cela aussi que j’ai commencé à composer, c’est toujours lié à ces questions-là. Ce n’est pas forcément défaitiste, ça va de l’avant, c’est pour produire quelque chose qui s’inscrit dans le futur et qui n’est pas coincé dans le passé.

Ton histoire avec la Bolivie est clairement très forte, tu en parles comme de quelque chose que tu essaies de faire vivre malgré la distance puisque tu n’y es pas. Avec « Alba » tu as tourné là-bas, c’est une histoire intime dans un lieu qui est un vrai personnage dans le film. De ce fait, ta relation avec le Bolivie n’est pas « que » fantomatique finalement.

Non pas du tout, la Bolivie sert de socle, mais ce n’est pas forcément la Bolivie, c’est-à-dire que c’est un espace qui m’inspire énormément, mais que ce soit là ou ailleurs, l’idée est de mettre en musique un espace plus que des personnages. Ils sont chargés de ce qui fait le présent mais aussi de ce qui a pu être là, c’est d’ailleurs ce dont on parle avec le lac dans l’album. C’est lié à la Bolivie parce que c’est là que j’ai construit mon imaginaire, et c’est un imaginaire qui, à chaque fois que j’y retourne, se renouvelle. Il est constamment happé par des choses nouvelles que je n’avais pas vues avant. Il y a quelque chose de très baroque dans ce pays qui me plait, quelque chose de très hostile qui n’est pas forcément accessible au premier abord. Il y a quelque chose d’excessif dans « Alba » quand je filme les carnavals, le syncrétisme, il y a plein de contradictions dans ce pays ce qui fait qu’il a forgé la manière dont je compose. C’est aussi parce que ce qui s’y déroule m’a inspiré, le syncrétisme que tu peux voir dans les églises avec les rites préhispaniques, tout cela crée une espèce de fusion liée à l’imaginaire qui fait que je reviens toujours à cet endroit-là. Mais par exemple dans les clips il n’y a aucune image de la Bolivie, ce sont des images que j’ai pu tourner en Arménie ou en Mongolie. Bon ce sont toujours des paysages un peu arides et hostiles (rires)

Oui c’est très minéral. 

Voilà c’est ça. Ce sont ces grands espaces qui me donnent envie de leur donner une couleur musicale, de les interpréter musicalement. La Bolivie c’est le point de départ bien sûr parce que je connais bien ce pays et que je lui porte une affection particulière, mais ça peut être transposable ailleurs aussi.

Alors du coup, il y a un côté comme tu l’expliquais avec les rites en païen, mystique : ce mélange qu’on retrouve en Amérique du Sud et même centrale ? Es-tu mystique quelque part ?

Pas du tout je suis plutôt athée, je ne crois en rien, mais j’aime l’imagerie. Il y a du mysticisme dans la quête du beau. Si croire c’est construire du beau à ce moment-là oui. Ce qui me plait en Bolivie lorsque je filme des églises ou des choses comme cela, c’est l’imagerie, la liturgie, c’est quelque chose qui m’intrigue et qui m’inspire, mais ce n’est pas forcément lié au culte ou ce genre de chose. Par contre, tout ce que cela peut produire chez l’homme de créatif ou d’imaginaire me passionne.



Concernant ta façon de composer, je trouve qu’il y a un côté hyper instinctif bien que ce soit très construit, comment composes-tu ? As-tu d’abord une idée et cela avance dans le sens où cela doit avancer ou ce sont vraiment des émotions que tu prends, tu crées un truc et ensuite tu construits ?

C’est ça, il y a une atmosphère personnelle dans laquelle je suis qui va faire que je vais composer. En fait je compose très vite. En général j’ai des périodes pendant lesquelles je vais composer énormément de choses. J’arrive en studio je continue de composer. En général l’album se construit quand on enregistre. Je n’arrive pas en studio avec les morceaux terminés. Je n’ai aucune partition ni rien. J’arrive en studio on appuie sur « rec. » et je dis « qu’est-ce qu’on va faire ? » et tac j’enregistre et c’est des prises qu’on garde après. Puis on va chercher des choses que j’ai composées avant. Ça avance vraiment au fur et à mesure. Je ne sais pas lorsqu’on commence un morceau, qu’il va faire 18 mn. Quand je me dis qu’il y a eu le climax que je voulais alors c’est fini. C’est assez instinctif et après cela prend du sens. Forcément cela a du sens mais je n’ai pas envie d’y mettre un discours. Je le mets une fois que c’est fini. On réfléchit à ce que cela veut dire, mais même les textes sont assez instinctifs. Tout est sur le vif rien n’est anticipé.

Sur ce dernier album une fois de plus il y a beaucoup de voix off, de textes déclamés qui viennent d’un peu partout. J’ai noté une poésie de Musset, il y a du Debord avec « La Société du Spectacle ». Comment choisis-tu ces choses que tu intègres ? Qui fait la voix off ?

Là pour le coup c’est le bassiste qui est allé chercher des choses. On met de côté (aussi bien lui que moi) des textes qu’on va croiser sur notre chemin. Et quand on compose parfois des samples se greffent après le morceau final. Parfois ils sont intégrés à la composition. Cela peut permettre aussi de débloquer les choses : en mettant un extrait à un endroit cela peut aider le morceau à continuer, à se déployer. Le choix se fait au fil de nos lectures. Pour nous les samples font partie de la manière dont on scénarise les albums. C’est un film qui s’entend. On va les extraire de leur sens global, de leur texte, pour les faire dialoguer avec d’autres samples qui vont donner un sens au morceau. Avant il y avait beaucoup d’extraits de films par exemple de la nouvelle vague. Là ce sont plus des textes. Par exemple on retrouve Camus dans l’extrait qui est sorti hier. C’est un enregistrement de sa propre voix. Il y a aussi Jean Topart, un acteur, qui dit un texte de Musset. Pour Cocteau c’est extrait d’un enregistrement original de « La Machine Infernale ». Après pour « Alba » c’était des enregistrements faits pas des comédiens. En général ce sont des samples déjà existants.

Votre musique est très cinématographique, c’est comme une bande originale. Est-ce l’idée de coller la musique sur des images que tu as en tête ?

Ce sont des images intérieures, mais cela ne précède pas l’album. Clairement quand j’ai composé le titre, je ne savais pas ce que j’allais faire après. Je peux situer les morceaux dans des espaces mais je n’imagine pas plus. Encore que dans celui-là si, puisque c’est l’histoire du lac donc il y a quelque chose d’assez concret mais c’est intervenu après la conclusion.

Et le concept du diptyque ? Il y a un album où vous commencez par la dernière partie.

Et bien en composant cet album j’ai commencé à écrire les textes. J’ai eu envie de raconter ce qu’il se passait avant cette nuit autour du lac. Je trouvais qu’il était intéressant de voir ce qu’on pouvait apporter, de revenir au début de cet album-là, et voir comment le suivant remettrait en lumière des choses qu’on n’a pas entendues dans celui-là. Je me disais que c’était intéressant d’écouter cette deuxième partie qui se suffit à elle-même, et d’ensuite la réécouter après l’album suivant pour reconsidérer certaines choses, et peut-être réinterpréter certaines parties du texte.

Du coup, le concept de ciné/concert avec la tournée de « Alba » qui a suivi est-ce quelque chose que tu veux développer ? On voit que tu as un côté réalisateur très fort.

C’est vrai que l’idée de « Alba » c’était vraiment de réunir les deux choses qui me passionnent dans un seul projet. On n’a pas fait beaucoup de dates, mais on en a fait quelques-unes comme par exemple au Café de la Danse. Après c’est sûr que le film aurait pu exister séparément, mais le faire vivre comme cela avec cette forme de ciné/concert, en l’ayant réinterprété musicalement ça lui a vraiment donné un sens qu’il n’aurait pas eu autrement. Et donc oui à l’avenir c’est quelque chose que j’aimerais bien refaire d’une manière ou d’une autre, refaire un film et composer un album dessus oui. La forme de ciné/concert m’a beaucoup plu.


HYPNO5E JESSUA Emmanuel


Quel est le retour d’expérience avec « Alba » ?

Bien sûr on aurait voulu que cela tourne plus ! Ça a été un peu compliqué à placer car il y avait des gens qui étaient un peu perdus par l’idée d’acoustique, de film etc… et je pense qu’on aurait pu faire durer le projet un peu plus. Bon déjà on va continuer à jouer parce qu’il y a pas mal de dates à venir sur l’année prochaine, mais j’aurais souhaité que le projet ait plus de résonnance en effet. J’aurais voulu le jouer plus, qu’il ait plus d’écho mais je pense que cela se fera avec le temps.

En fait le film peut-être décorrélé de l’album non ?

Oui oui, les deux peuvent être joués séparément.

Comment le film a-t-il été reçu par les cinéphiles ?

C’est vrai que le film aurait pu avoir une vie propre mais le problème c’est que ce sont des réseaux totalement différents et que je ne suis pas là-dedans du tout. C’est un film qui a été autoproduit et qui n’est pas du tout soutenu par une structure de production. Du coup c’est compliqué d’avoir accès aux réseaux. C’était aussi une manière de pouvoir faire vivre le film de faire ce projet-là avec le groupe, parce qu’on savait qu’au moins il y aurait un lieu pour le faire exister.

As-tu eu des touches par rapport à ton film ?

J’ai quelques projets : un documentaire et un court métrage que je suis en train d’écrire. Ça m’a permis de rencontrer des gens bien sûr et cela me permettra peut-être de pouvoir travailler dans de meilleures conditions à l’avenir.

Et pour la distribution de « Alba » ?

C’est compliqué quand tu n’as pas de boîte de production. Tu ne peux pas distribuer facilement. Mais si un jour je fais un film et qu’il marche, on fera une ressortie masterisée ! Rires.

Vous avez sorti un clip sur  A Distant (Dark) Source pt I, II et III, est-ce qu’il va y en avoir d’autres ?

Oui, on en a déjà tourné un deuxième. C’est vrai que les clips c’est quelque chose qu’on a un peu omis sur les précédents albums, on en avait juste fait un ou deux, mais pour celui-ci on voudrait mettre en image un maximum de morceaux. Il y aura donc surement un troisième clip. En fait c’est moi qui les réalise aussi donc il faut trouver du temps pour le faire.

Comment travaillez-vous ? Est-ce chacun chez soi ou est-ce que vous vous envoyez des pistes ?

On ne répète pas beaucoup en fait. Enfin si, juste avant pour la préparation on répète pendant trois mois en résidence, puis quand la tournée est lancée on se retrouve pour les concerts. En ce qui concerne la composition, je compose tout seul puis j’envoie les extraits à tout le monde. Après on se retrouve avec Jo (Jonathan Maurois) pour la base guitare. Ensuite le bassiste vient enregistrer et à la fin on rajoute la batterie. Nous ne sommes pas ensemble tout le temps. En fait le gros du squelette c’est Jo et moi. J’envoie les morceaux sans batterie à Théo (Théo Begue). Chacun propose sa partie. Ensuite nous nous retrouvons tous ensemble pour répéter et donner vie au tout cela.

Pourrais-tu me parler des textes et de l’histoire de cet album ?

Lorsque j’étais en repérage pour le prochain court métrage que je prépare dans une des régions où nous avons tourné « Alba », dans l’altiplano Bolivien à la frontière avec le Chili, j’ai rencontré des gens. Ce sont des espaces très désertiques, très arides et il y a un lac qui a disparu : le lac Popo. Avec le Salar d’Uyuni, ce lac disparu formait un immense lac au paléolithique et il a disparu il y a 15.000 ans. Cela a éveillé des choses en moi et je me suis mis à imaginer que dans cet espace aride il y avait comme des résonnances d’eau. La nuit l’eau revenait de cette source lointaine, et avec elle revenaient les spectres des gens qui avaient habité les rives de ce lac avant qu’il ne disparaisse. Cela se passe dans l’espace d’une nuit et le narrateur revient sur les rives du lac pour essayer de retrouver l’être aimé dans la foule des spectres.

La Bolivie en ce moment ça brûle. Tu as encore des contacts là-bas ?

Oui oui j’ai des amis encore. Il y a une région où on a tourné, la Chiquitania vers le Brésil qui brûle à fond : presque 800.000 hectares sont partis en fumée. C’est une région magnifique et culturellement riche, il y a d’anciennes missions Jésuites toujours en activité, des ateliers de lutherie, il y a plein de villages dans la forêt dans lesquels les Jésuites avaient appris aux jeunes à fabriquer des instruments de musique classique. C’est une région très belle à visiter. J’espère que cela va s’apaiser une peu.

Et bien je te remercie, et bravo car j’ai trouvé cet album vraiment génial.

Ah ! Tant mieux, merci à toi.


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