Among The Living
Interview

Interview de Philippe Deschemin, chanteur de PORN.

Philippe le chanteur de Porn est un artiste passionné, dans ses prises de positions et ses réponses. Difficile de synthétiser presque une heure d’entretien où on a parlé de la musique de Porn, de tueurs en série, des prestations live de Mass Hysteria et de sports de combat.


 


-Peux-tu nous raconter ce qui s’est passé concernant Porn ces dernières années, pourquoi tu as reformé le groupe ?

Porn ne s’est jamais vraiment arrêté en fait. Ce qui s’est passé c’est quand 2006 le marché de la musique connait une évolution. C’est l’arrivée du streaming, les ventes de disques commencent à se casser la gueule, la presse musicale rock métal rentre dans une mauvaise phase… Résultat pas mal de groupes arrêtent, et notre label ainsi que notre distributeur mettent la clé sous la porte. Du coup en, 2006-2007 on met le groupe un peu en stand-by. En 2009 on décide de rééditer le 1er album et le 1er EP en un seul album A decade in glitter and danger et en 2011 on a sorti le deuxième album From the void to the Infinite. Mais comme on avait peu de promo, pas grand monde savait qu’on existait encore et qu’on avait de nouvelles chansons. Du coup on ne peut pas dire que le groupe a arrêté. Moins de visibilité, moins de concerts ça nous allait bien à ce moment-là. En plus la scène métal-indus était plus trop à la mode.De nouveaux styles occupaient le devant de la scène, comme le stoner, ce qui fait que les gens en avaient un peu rien à faire de nous. On n’a jamais été à la mode, on ne le sera jamais. Et puis entre 2015 et 2018 on a sorti Deconstruct, The Ogre Inside, et en parallèle je bossais sur An Erotic End Of Times. Franchement je n’aurais pas pu produire plus.  Et puis on a quand même fait quelques clips. Et pour parler de 2019, on a des problèmes de timing pour sortir les remixes et les clips.

The Ogre Inside et The Darkest of Human Desire, appartiennent à une trilogie d’albums, et pourtant ils sont bien différents. Le premier me semble très dense, très lourd alors que The Darkest of Human Desires possède un ton et une sonorité différente…

C’est totalement voulu. On a une trilogie basée autour d’un personnage, Mr Strangler. The Ogre Inside, c’est un peu son enfance, où il est tiraillé par des pulsions, des désirs qu’il doit refréner. Donc je voulais quelque chose de sombre. Et dans The Darkest of Human Desire, le mec s’assume, il est libéré, d’où le changement d’ambiance. Mais pour garder une certaine homogénéité, je n’ai jamais vraiment arrêté de composer. Cet été, alors que je bossais sur le mix de The Darkest of Human Desire, je commençais déjà à composer l’acte 3. Ce qui fait qu’on ne va pas tarder à enregistrer les nouveaux morceaux.

Peux-tu nous parler du personnage qui est au centre de cette trilogie, Mr Strangler ?

Avec Strangler, je m’intéresse aux vrais tueurs en série, ceux qui sont animés par une véritable pulsion d’homicide, ceux qui ont été façonné par la pression sociale, la frustration. C’est ce que j’ai voulu faire avec Strangler. Après l’ogre qui te bouffe de l’intérieur, c’est un concept que j’avais déjà utilisé dans mon roman Contoyen. Et d’une certaine manière c’est inspiré d’un poème de T.S. Eliot, Les Hommes creux, un concept qui m’avait inspiré pour From The Void To Infinite, j’avais besoin d’explorer ce thème. Tout est lié et au final c’est notre rapport avec la mort.

Tu sais déjà comment va se terminer la trilogie ?

Pas tout à fait. L’album est fini à 90% mais je me laisse une marge de manœuvre pour modifier certaines choses.




J’ai l’impression que Porn a également évolué avec le temps. On est passé d’une thématique centrée sur le sexe à quelque chose de plus sombre et violent.

Oui complètement. Je pense qu’on a été précurseur. Aux débuts des années 2000, tout le monde écoutait du Nu-Metal, les groupes portaient tous des baggys, les gens se foutaient de nous parce que j’étais vachement influencé par David Bowie, j’aimais bien les trucs à la Mötley Crüe. Je trouvais ça fun de se maquiller. On avait auto-proclamé notre musique Indus-Glam-Rock. Finalement la mode du Nu-Metal est passée et les influences Glam sont revenues sur le devant de la scène. Entre temps j’ai évolué et je me sens capable d’écrire des choses différentes, j’ai mûri intellectuellement et maintenant je peux faire ce que je voulais absolument faire artistiquement et en matière d’imagerie, sauf qu’avant je n’en avais pas les moyens. Je me fixe aucune limite, à part peut-être du métal extrême. J’en écoute beaucoup, comme les vieux Bathory, mais ce n’est pas trop ma sensibilité.

Il y a pas mal d’évolution dans Porn depuis votre concert au Gibus, il y a un peu plus de 2 ans. A l’époque j’avais trouvé qu’il manquait quelque chose au groupe.

Tout à fait. D’abord c’était un concert pas terrible, et j’ai beaucoup appris à cette occasion. Je n’étais pas satisfait du son, au niveau des lumières c’était pareil. On avait un écran sur scène derrière nous, sauf qu’on avait à projeter.  C’était notre faute, on aurait dû être plus exigeant. Mais on apprend de nos erreurs. Maintenant quand on joue, on maîtrise mieux les choses, on reste sur le concept de l’album.

Comment fais-tu pour gérer tes deux groupes et ton activité littéraire ?

J’essaye d’avoir un agenda propre et surtout je me donne les moyens. Regarde Peter Jackson son premier film (Bad Taste 1987), il l’a tourné pendant les week-ends pendant plusieurs années. Il y a une différence entre faire et vouloir être. Je connais plein de gens qui se disent écrivains qui n’ont jamais écrit un seul livre ou des gens qui se prétendent musiciens sans avoir jamais jouer de leur vie. Tu es ce que tu fais finalement, tu n’es pas ce que tu dis être. C’est un peu le phénomène que l’on voit sur les réseaux sociaux, où les gens s’inventent des vies, c’est une mise en scène perpétuelle. C’est ce que Guy Debord appelait la mise en scène spectaculaire de la vie humaine. Le rapport à la réalité est important pour moi, ça me tient à cœur. Ce rapport au réel, depuis le début de Porn j’en parle, avec un morceau comme Soft Machine / Porn Machine.

Quand je croise des groupes qui débutent, qu’on échange, je leur demande toujours « Combien tu veux ce que tu crois vouloir ? ». A partir du moment où tu sais ce que tu veux faire, il faut se donner les moyens. Le talent mais aussi ta capacité de travail vont déterminer ta réussite.

Le fait d’avoir ton propre label, Les Disques du Rubicon, ça s’inscrit dans la même démarche ?

Oui, c’est garder le contrôle, arriver à l’indépendance. Idéalement il faut pouvoir devenir autonome, être libre voire sortir du salariat. David Bowie le disait lui-même « Manage-toi toi-même, tu n’as pas besoin d’un manager ». Nine Inch Nails a son propre label, Bowie s’est produit lui-même dès qu’il a pu. En Allemagne ils sont quasiment tous en autoprod. Après ils filent des licences pour la distro, mais ils se gèrent eux-mêmes.



Cette évolution, est-ce qu’elle n’est pas due également à l’évolution du marché de la musique, de la baisse de vente de disques, les labels ne voulant plus prendre de disque ?

Ce qui se passe c’est qu’avant les gros labels et les labels moyens avaient de l’argent. Donc même si tu montais ta petite structure, ces gens arrivaient avec un gros chèque pour te racheter. Aujourd’hui il y a moins d’argent, et ces structures privilégient les licences d’exploitation. Ils ne cherchent plus à produire. Il y a une évolution du modèle économique dans la musique, on investit moins.

Il y a beaucoup d’activité sur vos différents comptes sur les réseaux sociaux. Est-ce que c’est une démarche pour maintenir un lien avec les gens qui vous écoutent ?

Bien sûr. Le but c’est de créer du lien avec les gens. Je le vois quand on est en concert, les gens n’osent pas trop venir te parler. Et pour moi c’est important d’échanger avec les gens qui achètent les disques, qui viennent nous voir sur scène. Après je ne cherche pas absolument à me faire aimer, je suis pas un homme politique. C’est juste du respect par rapport à ces gens qui apprécient notre travail.

Sur le compte YouTube du Porn, j’ai vu que tu faisais des interviews de groupe, « Porn Talks ». Tu peux nous expliquer la démarche, parce qu’on sort de l’autopromotion classique d’un groupe.

J’invite des gens que je connais. L’idée c’est d’être dans la discussion. Du coup avec Dan Terminus je me suis retrouvé avec 1h30 de vidéo. Finalement je l’ai laissée et je me suis aperçu que des gens étaient allés jusqu’au bout. Si tu es intéressé par le sujet, les gens peuvent rester jusqu’au bout. Je pense que tout dépend du format. On va en faire d’autres.

Vous sortez pas mal de remixes de vos chansons, vous en avez même fait un album. D’où vient cet attrait pour l’exercice ?

A la base il y a le goût pour le remix en général, mais aussi comme dans le rock indus c’est courant de faire des remixes, je me suis mis à faire des remixes. Mais j’aime bien, c’est intéressant, ça permet de faire une relecture du morceau par quelqu’un de différent. On essaye de le faire pour chaque single, mais pas seulement. Pour l’album, on a quelques remixes qui sont vraiment très bons. Limite des fois tu écoutes les remixes, tu te dis que le morceau est mieux que l’original.

Est-ce que le cinéma et la BD influencent Porn, est-ce qu’il pourrait y avoir des projets autour de ces deux médias ?

Pour le cinéma non. J’aime bien certains réalisateurs comme Stanley Kubrick ou Christopher Nolan, mais globalement je trouve que sur l’ensemble de la production cinématographique il y a tellement de choses mauvaises que je ne considère par le cinéma comme une source d’inspiration. En ce qui concerne la BD et plus particulièrement les comics, oui ça m’intéresse beaucoup. Et peut-être que Mr Strangler, après l’Acte 3, il va disparaître des disques pour réapparaître dans un comics. J’ai beaucoup d’idées pour lui.

Les concerts à venir ?

On va avoir 3 dates fin avril Paris Lyon et sans doute Toulouse et on tournera sans doute un peu plus à l’autonome 2019. Je préfère bosser sur des dates rapprochées plutôt que quelques dates éparpillées sur plusieurs semaines. Tu fais le truc proprement, tu emmènes tout le monde avec toi. Tu as la personne pour le son, la lumière, tu les connais. Si tu as des décors à prendre tu les prends. En sachant que par rapport à ce dernier point, il y a ce que tu veux et ce que tu peux faire.
Quand tu es un petit groupe, c’est un truc de dingue de penser que tu vas pouvoir emmener ton décor sur toutes les scènes de France. Et quand tu joues en support d’un autre groupe je te n’en parle même pas.





On travaille plus sur les lights. On a un mec qui connaît les morceaux par cœur, qui nous connaît par cœur et qui fait un super taf. A choisir entre un mec pour le son et un mec pour les lumières, je préfère prendre un mec pour les lumières avec nous. C’est primordial.
Pour revenir aux décors, tant que tu n’es pas capable de faire une tournée d’une dizaine de dates en tête d’affiche, tu peux les oublier. C’est une chose de jouer dans une petite salle chez toi, où tu sais qu’il y aura tous tes potes pour te voir jouer, et te produire dans une salle n’importe où en France. Remplir des salles hors de tes bases c’est compliqué. Il faut être en mode commando, opérationnel dans n’importe quelle situation. Regarde Mass Hysteria. Ils ont des morceaux super efficaces, la prod elle défonce. Et en live c’est le top. Ils n’ont pas de décorum avec eux ou d’images projetées derrière eux, mais leurs lives ils déboîtent, ils ont un jeu de light énorme.
Les mecs ont de l’expérience, ils sont pro dans ce qu’ils font. Malheureusement en France on n’a pas trop cette mentalité dans les groupes de rock, très vite les gens se contentent du minimum au niveau ambition. Il faut arrêter de faire des concerts devant ses potes dans son bled. La musique c’est un peu comme les sports de combat. Il faut apprendre à sortir de ta zone de confort pour progresser. Si tu t’entraînes toujours avec les mêmes personnes, dans la même salle, tu te prends pour un guerrier. Mais si tu changes de club, tu sors de la routine, tu découvres tes faiblesses, tu vois là où tu dois progresser.


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