VOIVOD – Synchro Anarchy
Sortie le 11 février 2022
Quand j’écris une chronique, je me demande à qui je m’adresse.
Souvent, j’applique le principe de la majorité logique. Si je parle du premier frisbee d’un nouveau groupuscule de black metal mormon chanté en hébreu-klingon, je pars du principe que personne ne connaît.
Si je cause du nouvel opus d’un groupe qui remplit des stades, j’applique le principe inverse.
Si nous sommes entre les deux (la majorité des cas en fait), j’essaye de (re)contextualiser le groupe avant de développer mon avis sur le nouveau matériel proposé.
Mais alors que faire quand un groupe culte qui fait partie de mon panthéon personnel (qui je vous l’accorde, est décousu) vit son deuxième âge d’or, que la grande majorité des métalleux ne comprend pas la musique du groupe ou n’en a rien à battre, et que les restants, fans comme moi, se sont jetés sur le disque sans aucun besoin de mon avis à ce sujet ?
Un style instantanément identifiables
De plus, point de vue subjectif mais croyance profonde, on n’aime pas Voivod en dilettante. On est fan ou on n’apprécie pas, l’entre deux eaux me semble peu probable.
L’univers cyberpunk légèrement malaisant des Canadiens ne peut fonctionner qu’en immersion. D’où l’importance des textes mais aussi de l’univers graphique original développé par Away (batteur et illustrateur historique du groupe).*
Et en dépit des changements de musiciens (décès, départ…) le son et le style du groupe sont et restent instantanément identifiables au fil des années, chose rare de nous jours. Le revers de la médaille de cette continuité, c’est que les hermétiques le restent (sauf à évoluer dans leur propre perception de la musique, mais c’est là un autre sujet).
Bon, si vous êtes encore là, c’est que vous voulez quand même m’entendre causer du bouzin (oui, par écrit, ne chipotez pas), quelle que soit la catégorie à laquelle vous appartenez. En tout cas vous êtes restés.
Merci. J’apprécie.
Voivod est un groupe unique, passionnant et insatiable
Maintenant que nous sommes entre nous, que dire de cet album ?
Si je parle de deuxième âge d’or, c’est qu’il y a eu à mon sens dans la carrière discographique de Voivod une première trilogie magique dans les années 80, qui faisait suite à 2 albums de jeunesse plus punks et un peu moins personnels « War And Pain » (1984) et le merveilleusement nommé « Rrröööaaarrr » (1986). « Killing Technology » (1987), « Dimension Hatröss » (1988) et mon préféré « Nothingface » (1989) donc.
Si la discographie intermédiaire du groupe ne démérite pas et contient même son lot d’excellentes pièces, il n’en reste pas moins que c’est bien depuis 2013 et un « Target Earth » excellent que le groupe est revenu à un niveau auquel, honnêtement, je ne l’attendais plus.
Le terrible « The Wake » en 2018 montait encore d’un cran la qualité et, chose étonnante, semblait toucher un public plus large qu’à l’accoutumé.
Oui, vous avez raison, je re-contextualise -comme indiqué plus haut- mais je ne parle pas de l’album. Ça arrive.
Ce nouvel opus est la troisième grande réussite du groupe consécutive, d’où la notion de « nouvel âge d’or ». Et comme pour Nothingface, le dernier est probablement de mon préféré des trois.
Il y a cette même dimension plus mélodique, sans jamais perdre le jeu des dissonances sans lesquelles Voivod ne serait pas Voivod.
Peut-être est-ce lié à mon habitude du groupe, mais je trouve Synchro Anarchy plus facile d’accès que ses deux prédécesseurs, cette dimension mélodique y étant sans doute pour quelque chose.
Toujours étrange, jamais linéaire
Away (batterie), Rocky (basse) et Chewy (Guitare) forment un bloc rythmique impressionnant de précision et d’intensité. Snake, le barde punk, s’en donne à cœur joie en posant des textes sombres, précis et intelligents, sur la nappe de velours rugueux déposée par ses camarades de jeu.
Peu de rythmes très rapides ici (pour du thrash s’entend, on est loin de Candlemass), mais une grande tension tout au long de l’œuvre, et ce qui est (peut-être) perdu en vitesse est gagné en ambiance et en diversité, l’ensemble étant extrêmement riche.
Une écoute au casque du morceau titre, par exemple, vous donnera une idée sur le travail effectué par le groupe sur la stéréo (même sur une paire d’enceinte ça saute aux oreilles. Je n’ai pas testé en 5.1…).
En résumé, pour les fans qui seraient passé à côté, c’est du tout bon, pour ceux qui découvrent le groupe, ce n’est pas un mauvais choix du tout, et pour ceux qui n’aimaient pas avant, il n’y a pas de raison que ça change…
Toujours étrange, jamais linéaire, hors des modes et du temps Voivod évolue au sein de son propre microcosme, se nourrit de lui-même et en ressort miraculeusement grandi.
Voivod est un groupe unique, passionnant et insatiable, « Synchro Anarchy » en est une nouvelle preuve éclatante.
*Si vous voulez vous faire un avis sur l’album et sur les travaux visuel d’Away en même temps, la vidéo du titre « Planet Eaters » devrait pouvoir combler votre curiosité rapidement.
Tracklist
09 – Memory Failure