INTERVIEW (Phoner) Donita Sparks Chanteuse et guitariste de L7
À la croisée des chemins entre punk, hard-rock et grunge, les 4 musiciennes de L7 se sont forgé une réputation planétaire dans les années 90. Le groupe est souvent cité comme une influence majeure par des figures de premier plan de la scène rock. L7 s’est séparé en 2001 après les tournées de soutien pour son 6ème et dernier album, Slap Happy, paru en 1999. La séparation durera 14 ans. Les membres rejouent ensemble depuis 2015, et elles nous promettent un nouvel album pour 2019. Elles arrivent en Europe ces jours-ci pour quelques dates, dont un concert parisien à la Cigale le 13 juin et une apparition au Hellfest. Elles nous ont offert 2 nouveaux titres ces derniers mois : le virulent I Came Back to Bitch et la charge anti-Trump Dispatch from Mar-a-Lago. Donita Sparks, guitariste, chanteuse et co-fondatrice du groupe a accordé un entretien à Among the Living.
Salut Donita. J’ai passé une partie de l’après-midi à regarder le film documentaire de 2016 sur L7, « Pretend we’re dead ». En ce moment, le groupe fait des concerts et enregistre de nouveaux morceaux. En regardant ce film et en consultant Internet, on entend des personnalités importantes du rock affirmer des trucs du genre « Les filles de L7 ont été une énorme influence pour moi », « Elles ont ouvert la voie aux autres. » Ça fait près de 20 ans depuis que vous avez sorti votre dernier disque. Pourtant votre influence reste très forte. Ça te fait quoi de rejouer à nouveaux avec L7 ? Tu as l’impression de revenir après une longue absence ?
C’est vrai que j’ai quand même l’impression d’avoir été absente. Mais je suis vraiment enthousiaste de refaire ça. J’ai l’impression que c’est une sorte de catharsis, autant pour le public que pour nous. Depuis quelque temps, la colère monte. On a beaucoup de motivations pour râler. Et jouer avec L7 nous donne un débouché vraiment créatif pour exprimer toute notre colère à propos de la vie en général, qu’il s’agisse du contexte politique ou culturel ou personnel.
Et c’est quelque chose que tu n’as pas vraiment pu faire avec les autres débouchés créatifs qui t‘ont occupée depuis le dernier disque de L7 ?
Oui, C’est ça. Tu sais, j’ai bien eu un groupe qui accompagnait ma musique en solo. Au début, il me fallait faire une pause pour un temps, par rapport à la vie que je menais… toujours être la pétasse de service. Je ne sais pas vraiment ce qui m’est arrivé. Lorsque le groupe s’est arrêté, j’ai eu un coup de blues. J’ai perdu un peu mon identité, mais je voulais mettre en avant une autre partie de ma personnalité. Mais tout ça n’a pas rencontré le même succès que l’attitude de colère pour laquelle je suis connue avec L7. Et puis, c’est fort de se trouver dans un groupe avec une histoire aussi personnelle et intime que L7. Ensemble, nous partageons cette histoire commune. Alors nous pouvons communiquer très rapidement les unes avec les autres. Nous sommes très conscientes de ce que nous cherchons à communiquer entre nous. Alors qu’avec mon groupe de musiciens pour mes efforts en solo, je me trouvais avec quelques mecs qui n’avaient pas la même expérience, et la communication n’a pas été aussi facile.
Tu vas te retrouver à nouveau en Europe bientôt. Ça te fait quoi de venir en Europe ? Tu es déjà venue plein de fois. Tu aimes jouer de ce côté de l’Atlantique ?
Oui beaucoup. On arrive en France en juin. On a été plutôt bien reçu en France dans le passé. On a fait la une de Rock’n’Folk, une paire de fois je crois. Pour nous, la France c’est un pays très fort. La France, l’Espagne, le Royaume-Uni… des régions où on marche très fort. Bien plus en fait que les pays germaniques. Ça c’est plutôt intéressant, car l’Allemagne représente un énorme marché. Mais on n’a jamais réussi à percer en Allemagne. Je ne sais pas pourquoi.
J’ai vu L7 au Hellfest en 2015. Je garde un souvenir très fort de « Fast and Frightening » ce jour-là. Le reste aussi, mais surtout ce morceau m’a ramené des souvenirs très forts. L7 joue à nouveau au Hellfest de cette année. J’y serai. Que nous réserve L7 pour ce concert ?
On va certainement jouer nos deux nouveaux morceaux. Le premier, c’est Dispatch from Mar-a-Lago. L’autre s’appelle I Came Back to Bitch. On va certainement en faire un, peut-être les deux, ça dépendra du temps qu’on nous accordera. Il faut dire qu’on aime bien jouer des morceaux que les fans attendent, les tubes du passé. On n’aime pas trop jouer des morceaux moins connus, creuser les profondeurs des albums. Nous savons ce que nos fans veulent entendre. Et nous on est contentes de jouer ces morceaux. Ça fait 20 ans qu’on ne les joue plus, alors on ne peut pas dire qu’on en a marre de les jouer. On a cet avantage de revenir après un temps d’absence. Je sais que Bowie se fatiguait de jouer Sufragette City. Mais nous, on n’en a pas marre du tout de jouer Fast and Frightening. On prend toujours un grand plaisir à jouer tous ces morceaux que le public connaît.
Ça fait presque 20 ans depuis la sortie de Slap Happy, le dernier album. J’ai entendu dire qu’il y aurait un nouvel album en perspective pour 2019. Tu ressens quoi de te retrouver à nouveau avec L7 en studio après tout ce temps ?
Nous sommes toutes de meilleures musiciennes. Nous n’avons jamais aussi bien joué de nos instruments. On travaille depuis quelque temps avec un super producteur qui s’appelle Billy Bush. Il a vraiment le « zen » qu’il faut pour nous. Il est très zen. Il a le talent de nous faire travailler au mieux de notre performance. On aime beaucoup ça et je crois que ça prend une bonne tournure.
Comment composez-vous ? Comment le groupe invente-t-il sa musique ?
J’ai écrit I Came Back to Bitch* toute seule. J’ai trouvé l’enchaînement d’accords d’abord, et ensuite la mélodie s’est imposée à moi. Puis les paroles sont arrivées. J’avais déjà écrit des paroles énervées, avec de la colère, parce que je passais par une période difficile, avec quelque chose de personnel. Alors les paroles cadraient parfaitement avec la mélodie. Dispatch from Mar-a-Lago est arrivé quand on travaillait ensemble, Suzi et moi. J’avais une sorte de ligne musicale déjà en tête, et on a toutes les deux collaboré pour les paroles. Et ensuite on apporte tout ça aux autres musiciennes du groupe, et chacune y met sa touche, son « je-ne-sais-quoi » (en français dans le texte).
À part ces deux morceaux que nous avons déjà entendus, vous enregistrez un autre album, n’est-ce pas ? Pour composer les chansons, c’est principalement toi toute seule ou tout le groupe ensemble ?
J’écris. Suzi écrit. Et Jennifer écrit. Depuis des années, Suzi et moi nous sommes partenaires dans ce processus de composition. L’une de nous apporte souvent quelque chose de personnel qu’elle a déjà composée. Parfois Suzy et moi on se retrouve pour écrire ensemble. En ce moment, nous sommes en train de déménager, l’une et l’autre, laissant derrière nous des lieux de résidence que nous occupons depuis longtemps. Et nous avons passé du temps en tournée, aussi. Alors je crois que juillet et août vont être des mois de travail pour composer et écrire. On prévoit de vraiment rentrer en studio en septembre. On va enregistrer à l’automne et en hiver, et l’album sortira en 2019.
Pour en revenir à I Came Back to Bitch, c’est plein de colère. Puis-je te demander à qui tu t’adresses ?
En fait, je m’adresse à quelqu’un, oui, une personne qui m’a inspiré la colère. Mais il s’agit plutôt d’une expression de résistance ciblée contre les personnes avides, les gens qui ne sont motivés que par la convoitise, les promoteurs immobiliers qui ferment des clubs sympas, qui mettent les autres en faillite, qui bulldozent des quartiers,… parfois, j’entends même utiliser le terme rockstar à propos des enculés de Wall Street. J’ai entendu dire « C’est une vraie rockstar ce mec. Il vient de se remplir les poches. » Et j’ai envie de répondre « Non, tu n’es pas une rockstar. Tu es plein de merde. Tu ne contribues rien à la société. Tu ne fais que remplir tes poches, toujours en train de prendre ce qui ne t’appartient pas. Au moins les stars du rock donnent. » Tu sais ce que je veux dire… ! Au moins les rockstars produisent quelque chose pour gagner leur statut de rockstar. Je n’aime pas du tout la manière dont ce terme de « rockstar » sert à désigner des gens qui ne font rien que gagner de l’argent. Je n’aime pas cette manie de se faire des compliments à Wall Street en s’appelant mutuellement des rockstars. J’ai envie de leur dire « Allez vous faire foutre. Les rockstars travaillent dur, très dur, pour contribuer quelque chose à la société. » Du moins c’est le cas de la majorité d’entre eux. Ça c’est le thème de I Came Back to Bitch.
C’est t’arrive de t’inquiéter de la manière dont ta musique est reçue par le public ? Tu sais, les critiques, la presse…
Non je n’en lis rien du tout. Même si quelqu’un dit « L7, c’est super, c’est formidable ». Moi, je fais une interview, et puis je passe à autre chose. C’est sûr, je ne lis jamais les critiques de mes disques.
Où est-ce que tu prévois de mener tout ça dans l’avenir ? Tu fais des projets ? Tu réfléchis à l’avenir ?
En fait, on prend toutes les quatre beaucoup de plaisir à faire ce que nous faisons. Alors en espère continuer à faire ça aussi longtemps que possible. C’est vraiment du fun. À l’époque où le groupe s’est arrêté, nous étions toutes au creux de la vague. On avait l’impression de s’être fait tabasser. Découragées. L’industrie du disque nous avait démolies. Tu devrais terminer de regarder le documentaire sur L7. On y voit l’état dans lequel on était. Maintenant, on a l’impression de revenir triomphantes. On a l’impression de compenser un peu toutes les galères qu’on a vécues dans le passé.
Justement, c’est une question que je voulais te poser. Après cette absence, avez-vous réussi à retrouver la folie du passé, le fun, l’esprit de colère et d’agression ?
En fait, on est très sérieuses dans notre approche aujourd’hui. À l’époque, j’ai l’impression qu’on ne prenait pas tout ça suffisamment au sérieux. On se faisait des blagues. On rigolait beaucoup. Aujourd’hui on est beaucoup plus conscientes de notre devoir de livrer aux fans un spectacle de qualité. Les groupes de rock qui savent bosser, qui en veulent et qui livrent la marchandise, il n’y en a pas tant que ça, finalement. C’est ça qu’on veut être. On veut vraiment donner un bon spectacle. Et ça, on sait le faire. Personne d’autre n’a la même recette que nous. Encore aujourd’hui, notre recette, c’est un peu d’humour, un peu de politique, un peu de colère, un peu d’absurde. Et c’est notre recette à nous.
Justement à propos de politique, « Dispatch from Mar a Lago »… ici en France, même en Europe, les gens qui apprécient Trump ne sont pas très nombreux. Tu as plus de facilité à parler politique en France ou en Europe qu’aux États-Unis ?
Non pas du tout. Je dis toujours ce que j’ai à dire. Tu sais, la plupart des gens qui habitent les villes ici aux États-Unis ne sont pas des fans de Trump. C’est plutôt les gens dans les zones rurales qui le soutiennent. Et nous habitons une ville. Nous habitons Los Angeles. Personne n’aime Trump ici. J’ai l’impression que même la police n’aime pas Trump ici. Tout le monde le déteste.
Nous autres européens, on a peur quand on observe tout ce qui se passe au niveau politique aux États-Unis. On a raison d’avoir peur ?
Oh oui absolument. C’est vraiment mauvais. Mais en même temps ça montre que peut-être, nous perdons notre pouvoir… L’Amérique perd peu à peu son influence. C’est bizarre,… Nous rentrons de la ville de Mexico. Et dans cette ville, les gens n’en ont rien à foutre des Américains. Ils ne parlent même pas anglais là-bas. Tu sais, tu vas dans la plupart des pays européens, les villes européennes, et tout le monde parle anglais. Mais là-bas, à Mexico, c’est pas le cas. Il y a une société très élaborée à Mexico City et ils se foutent complètement des Américains. Ils ont une industrie de la mode, de la culture, et ils ne parlent pas anglais, et c’est tout. Il n’y a pas d’hostilité à l’égard des Américains, ou contre nous, personnellement. Mais ils n’en ont rien à faire de nous. Pour moi, ça montre que peut-être le monde est un peu moins dépendant des USA. Ce qui est une bonne chose.
Les textes de L7 parlent beaucoup de problèmes, de lutte, de politique, de confiance, de colère, de relations humaines… c’est un reflet de qui vous êtes en tant que musiciennes ?
Je pense que nous veillons à nous protéger un peu. Nous restons vulnérables, et nous sommes un peu sur la défensive. Mais c’est surtout parce que nous travaillons dans le monde du rock, et depuis le début, nous avons dû faire nos preuves. C’est pourquoi L7 ne fait pas beaucoup de chansonnettes d’amour. On est toutes capables de verser des larmes en écoutant une bonne chanson d’amour. Nous avons cette vulnérabilité. Ça nous arrive de pleurer, tout comme les autres. Mais en tant que groupe, nous savons faire front. Nous sommes dures. Il a fallu qu’on soit des dures-à-cuire et qu’on se tienne unies. Ça c’est plus facile à faire quand vous êtes quatre, ensemble, que toute seule chacune dans son coin. Moi j’ai fait les deux, et je sais de quoi je parle. C’est beaucoup mieux comme ça en groupe. Notre attitude c’est, « T’as pas intérêt à t’en prendre à L7 ! Tu fous la merde chez nous ? Ce serait une grave erreur. Parce qu’on te découpera en morceaux… à coups de vannes. Avec notre humour. Ne commence même pas. Tu perdrais. »
Ça t’arrive pas d’avoir envie de t’installer ? De rester tranquille ?
Je suis installée. J’ai 53 ans. Je sais où j’en suis. Je déménage du lieu que j’ai habité depuis 22 ans. Là je suis dans ma voiture en train de déménager. Je suis installée.
Ça me paraît un peu contradictoire… mais tu ne sembles pas avoir du mal à réconcilier les deux.
Elle est où, la contradiction ?
Tu vas déménager. Tu reprends la route avec L7. Tu ressens toujours de la hargne à l’égard de l’état du monde… et en même temps, tu me dis « Je suis installée. »
Je ne sais pas ce que tu veux dire par « installée ». Je ne passe pas mon temps à vadrouiller le monde avec un sac à dos. Mais je m’installe le soir devant Netflix, comme tout le monde…
Est-ce qu’il y a une autre question que tu aurais aimé que je te pose ?
Oh, Je ne sais pas.… Non… je ne sais pas quoi te dire. Pas vraiment, non… Ça c’est ton boulot à toi !
C’est une réponse valable ! J’aime bien. Merci beaucoup. On se voit au Hellfest j’espère…
Ah oui. Ça se serait cool.
*A bitch = une chienne, une garce, une meuf, une pétasse. To bitch = râler
« I Came Back to Bitch » = « Je suis revenue râler », ou « Je suis revenue foutre la merde »