Entretien avec Colin H. Van Eeckhout et Tim De Gieter d’Amenra – MOTOCULTOR 2023
Interview réalisée par Lisa Brault, Liønel Båålberith et Thomas Orlanth (La dream team)
Il a des interviews qui sont différents, plus profonds, plus intéressants et qui nous emmènent dans l’intimité des musiciens. Celui-ci en fait parti. Le chanteur (Colin) et le bassiste (Tim) se dévoilent au fur et à mesure que se déroule la discussion et nous apportent une réflexion sur la musique et sur la vie en général.
Lionel/Born666 : Je vais commencer par une chose un peu plus terre à terre. Ce qui marque dans votre discographie c’est le nombre de Split album. Il y en a beaucoup, c’est assez incroyable. Pourquoi ?
Tim De Gieter : En fait on est drôlement bien entouré. On a des amis qui font des photos, des vidéos et beaucoup d’amis musiciens aussi. Ils sont fort talentueux et on aime travailler avec eux. Parce que dans cette optique c’est logique que l’on fasse des Split ou des collaborations. Comme sur le dernier album on retrouve Caro Tanghe d’Oathbreaker qui fait 50 % des voix. C’est pas un choix fort réfléchi c’est quelqu’un avec qui on a beaucoup d’affinités. On aime son travail donc c’est logique que l’on travaille ensemble.
Lionel : Et lorsque l’on parle de collaboration, est-ce que l’on réfléchit à la maison de disque qui peut être différente dans laquelle votre ami peut jouer ?
Tim : Non pas du tout. Nous ne sommes pas du tout dans l’aspect commercial c’est secondaire. Lorsque l’on regarde notre discographie, on remarque que l’on ne sort pas un album chaque année. On fait les choses comme on les ressent. On travaille sur un album jusqu’au moment où on a l’impression qu’il est prêt pour sortir. Si on est dans l’esprit de travailler avec quelqu’un on va initier ça. On a pas de stratégie. Relapse Records ne nous demande pas « hé dans six mois tu viens avec autre chose ! ». On est libre !
Lionel : Vous êtes quand même assez régulier dans la sortie des albums…
Tim : On est régulier dans le sens on continue à sortir des trucs mais pas régulier comme…
Lionel : Un coucou suisse ?
Je ne sais pas quel est le mot le moins offensant pour décrire ça. Des groupes qui sortent ça dans l’aspect stratégique que le groupe il doit survivre aussi. Nous on est plus dans le ressenti.
Lionel : Le dernier es sorti en 2021 donc il y a le temps ?
Il y a le temps mais on a déjà le suivant, il viendra ça c’est sure. On est actuellement en train de le mixer…
Lisa Brault : Qui intervient sur cet album il y a des nouvelles voix, des nouveaux musiciens ?
Tim : Je ne veux pas trop en dire pour le moment, c’est quelque chose que tu devras découvrir par toi-même. Je n’ai pas envie de le vendre comme une « promotional talk ». Je n’ai pas envie de dire « check le truc parce qu’il tel ou tel personne dessus »… non, c’est un album d’Amenra.
Fera-t-il partie d’une trilogie ?
Je ne peux pas le dire non plus, mais par compte au niveau contenu je le considère comme une réunion entre le passé et c’est un pont vers le futur. C’est vraiment un disque charnière dans notre histoire.
Lionel : J’ai un souvenir du groupe à La Machine du Moulin Rouge à Paris (23.07.2011) lorsque vous ouvriez pour Neurosis…
Tim : Ça c’était une question pour le gars qui jouait avant moi dans le groupe.
J’étais fan de Neurosis et d’Amenra depuis mes 19 ans donc je ne peux que confirmer qu’il y a 10 ans ces deux groupes étaient déjà extraordinaires.
Lionel : Qu’est-ce qui t’as amené à jouer cette musique qui est assez complexe et pas évidente. Tu ne t’es pas dit « je vais jouer du hard rock avec 3 ou 4 accords et puis c’est bon » ?
Tim : Je pense qu’on est tous là pour la même chose : on a un investissement émotionnel. C’est surtout ça, on a un process par la musique, c’est comme un outil on ne joue pas que pour jouer les morceaux on est vraiment en train de creuser en soi-même quand on joue. C’est ce qui m’a tiré dans ce groupe quand j’allais les voir en concert. C’était comme une expérience, même lors des petits shows c’était « vénère » pour moi. C’était soignant, ça me vidait dans le bon sens je pouvais y amener toute ma frustration et mon mal-être et après je sortais de là avec toute mon énergie.
Lionel : Donc le public est beaucoup plus libéré après le show, c’était donc une thérapie ?
Tim : Pour moi c’est ma thérapie ! Direct 100 %!!
Transmettre c’est très important quand on peut discuter, échanger, faire écouter de la musique mais là ça va beaucoup plus loin…
Oui et c’est ouvert. Chacun peut interpréter ça comme il veut ou prendre ce dont il a besoin dans ce qu’on fait. Quand tu parles avec quelqu’un tu ne donnes que ton avis, que ton opinion mais ici tu donnes tout toi-même tu ne dis « prends que ce dont tu as besoin ».
Lisa : Avez-vous conscience que dans vos fans vous avez créé une genre de secte…
Lionel… une famille ?
Lisa : … Non car je trouve que les fans d’Amenra sont franchement dévoués. Est-ce que tu t’en rends compte de l’effet que votre musique produit particulièrement sur certaines personnes ? Ce sont des vrais puristes contrairement à d’autres groupes qui sont très bons mais dans lesquels on ne ressent pas ce « truc » ?
Colin H. Van Eeckhout : C’est ce qu’on voit en ligne, sur des discussions sur le web. On lit beaucoup, on essaye de lire tous à peu près ; mais ce n’est pas possible. On voit qu’il y a des gens qui nous prennent très très au sérieux et qu’ils ont des théories que même nous on ne suit pas. C’est intéressant de voir comment ça se passe quand ça devient plus grand que le truc même et c’est à ce moment-là que ça commence à être la propriété des autres gens. C’est intéressant de voir ce que cela produit.
Lionel :Au travers de votre musique vous transmettez quelque chose. Avez-vous eu des fans, des gens qui vous ont dit que votre musique avait changé leur vie ? De passer un cap ?
Colin : Ça arrive souvent même. C’est le plus beau compliment que tu puisses recevoir en tant que musicien ou artiste. Là c’est quelque chose qui touche quelqu’un. C’est là que tu te rends compte que ta musique vaut quelque chose pour quelqu’un pendant une période de sa vie. C’est joli même.
Lionel : Est-ce que cela peut vous faire peur de vous trouver très influent pour certaines personnes ?
Tim : On en est fort conscient !
Colin : Oui c’est sûr ça aussi. Cette musique aun contenu assez dangereux car tu joues avec la négativité. Tu joues avec la tristesse et la douleur dans une vie humaine et ça peut bousculer dans une direction. Des fois tu as des témoignages de gens qui t’envoient un message comme « mon pote s’est suicidé et votre disque est la dernière chose qu’il a écouté ». Et là c’est c’est très dangereux. On espère toujours qu’il y avait quelque chose de positif dans le sens que notre musique l’a peut-être aider à prolonger sa vie.
Lionel :Est-ce que toi tu l’as vécu en écoutant de la musique quand tu étais plus jeune ?
Tout le monde a ça je pense non ?
Tim : C’est un des rares trucs qui a cette approche. Il y a beaucoup de groupes qui disent « on écrit des choses personnelles des trucs chargés » mais pas dans ce sens. Moi en tant que fan à l’époque je le vivais dans ce sens là. Les gens qui viennent aux concerts viennent aussi dans cette esprit là. Avec cette idée que lorsque tu regardes autour de toi tu te dis que tous souffrent comme moi. Rien que ça t’amène énormément.
Lionel : Comme des petites briques qui s’assemblent…
Colin : Oui des connexions…
Lisa : Votre musique est très noire et quand on vous voit en dehors on vous trouve joyeux, super avenant. Mais avant de monter sur scène est-ce que vous vous mettez dans un état particulier ? Comment vous vous conditionnez pour que votre musique soit la plus sincère possible car ce n’est pas évident de rentrer dans ces phases là ? Des trucs qu’on a écrit qui sont hypers violents pour soi-même ?
Colin : Au début c’était facile, tu vivais le moment où c’est écrit. Amenra a commencé en 1999 et en 2001 mon père est décédé d’un cancer. J’étais encore jeune et c’est rentré dans la musique en fait. C’était facile de rentrer dans un « clic » (« rentrer dans un état émotionnel »). Et ensuite les concerts deviennent une partie de toi et tu deviens conditionné à faire le clic…
Lisa : Tu switches émotionnellement ?
Colin : Plus logistiquement tu écoutes ta musique pour rentrer dedans. C’est une partie de toi donc tu cliques dans les moments où tu sais de quoi tu parles et c’est plus facile d’y aller parce que tu sais d’où ça vient. Mais c’est étrange d’avoir ce médium avec tes meilleurs potes. On s’amuse on rigole beaucoup mais quand tu arrives sur le podium tu cliques dans un univers…
Tim : C’est quasi automatique : on est tous ensemble, on rit. Je pense qu’une heure avant le show si tu viens nous chercher et c’est super bizarre car on ne communique pas. On se dit pas « on va se séparer maintenant et fini la rigolade ». Mais une heure avant tout le monde va dans sa bulle. On rentre en soi pour être vraiment dans le show. Et 5 minutes avant, on se souhaite un bon show. Après on se revoit et on retrouve là où on en était un peu plus d’une heure avant le show.
Lisa : Vous avez eu tous les deux des petits soucis de santé et c’est pour cela que vous avez fait une tournée acoustique pour ne pas forcer sur la voix. De plus vous tournez énormément. N’est-ce pas trop compliqué de monter sur scène ? N’êtes-vous pas plus fatigués ? Est-ce que ça vous plaît toujours autant d’être la moitié de votre vie sur la route ?
Colin : « We are greatful ! » … de pouvoir faire le concert. Chez moi, c’était une hernie, les muscles de mon ventre était un peu abîmé et ça été long à guérir. Et plus tu vieillis plus c’est difficile. Ce n’est pas comme quand tu avais 20 ans. Sans parler des problèmes de dos. Mais ça va on peut aussi dire que quand on a mal ça marche encore mieux !
Lionel : Je reviens du coup sur ma question du début concernant le concert que vous aviez fait en première partie de Neurosis à La Machine du Moulin Rouge à Paris. C’était une soirée extraordinaire, il y avait beaucoup de gens, y avait la queue sur tout le boulevard de Clichy.
Colin : C’est un groupe exceptionnel, c’est une force de la nature. Neurosis est classé dans le metal mais c’est quelque chose de différent. C’est un des groupes qui nous a le plus inspiré dans nos vies. La force qui culmine sur un concert honnêtement je n’ai encore jamais vu ça avec un autre groupe et ça se ressent.
Lionel : Il y avait aussi Isis et Jesu à cette époque dans la même mouvance…
Colin : Oui effectivement il y avait beaucoup de groupe mais Neurosis était sur le trône. Pour nous c’était un honneur de tourner avec eux et humainement ils étaient très beaux comme être humain…
Lionel : D’ailleurs ils ont fait de l’acoustique mais chacun de leur côté.
Colin : Tu découvres d’ailleurs tout le spectre de l’histoire, la force et la frustration quand tu rentre dans la musique. Des choses plus émotionnelles que tu peux mettre dans l’acoustique, et là, tu gères le spectre complet de l’émotion humaine. C’est super de pouvoir faire ça.
Lisa : Amenra à quelque chose de très esthétique sur scène. Vous avez un visuel tout en noir et blanc même vos looks pour vos photos. Ce n’est pas du tout la photo metal que l’on connaît. C’est quelque chose d’à part. Est-ce que cet aura là est quelque chose que vous avez travaillez vraiment précisément ou c’est venu comme ça naturellement ? Vous l’entretenez ? Est-ce naturel ou est-ce très calculé ?
Colin : C’est très calculé mais organiquement ça nous semble logique.
Est-ce d’un commun accord avec tout le groupe ?
Tim : C’est commun mais Colin a un peu le « overview ». On peut rire avec ça mais c’est important parce que tu dis il y a une ligne… Parfois il y a des choses qu’on va trouver cool et on va lui filer. Lui, il va trouver autre chose. Il va nous dire « ah oui mais ça c’est cool quand tu le combines avec ça » et ça fait l’unité justement. On est tous sur la même ligne, la même longueur d’onde.
Et toi tu uniformises.
Oui c’est là où tu vas le plus profondément, le plus loin dans ton corps…
Lisa : C’est pour cela qu’on vous retient…
Colin : C’est différent…
Lisa : C’est comme avec vos fans on les reconnaît avec leur T-shirt avec un petit logo, il n’y a même pas écrit votre nom et on sait que c’est vous. Les gens le savent entre eux, ils se repèrent entre eux.
Colin : C’est le but en fait. C’est aussi la connexion quand tu fais quelque chose. Quand tu fais une affiche tu dois sortir de ce qui existe et faire quelque chose. Ça doit raconter quelque chose. Chaque image, chaque symbole, chaque design pour un artwork doit demander un espèce de moment, un respect du spectateur. ça nous aide à raconter notre histoire.
Lionel : Pour en revenir au Hellfest je trouve que la réalisation faite par Arte est assez folle. En êtes-vous satisfait ?
Oui on n’en est très satisfait, on a eu de la chance avec ces gens là.
Tim : Pour nous c’est un beau document c’est assez rare. Quand tu joues le show et d’ailleurs toi (s’adressant à Colin) qui n’est pas face au public tu es tellement en toi-même et tellement concentré de ce que tu vis. On n’est pas en train de se dire oui il y a « X » nombre de personnes. Et maintenant on peut voir de l’extérieur le show et de comprendre ce qu’il se passait à l’extérieur.
Colin : C’est super bien fait et ça nous aide beaucoup. On a eu beaucoup de concerts qui ont été filmés. Mais aussi on a la chance aussi d’avoir des images bien filmées, bien cadrées avec un bon travail du producteur et d’ailleurs tu as aussi fait le son après (s’adressant à Tim).
Tim : Oui c’est vrai que j’ai mixé. J’essaye de garder l’uniformité dans l’audio, ça c’est mon domaine…
Lisa : Vous avez tous les deux des projets musicaux à côté. Est-ce que vous avez d’autres moyens d’expression sans parler de la musique ?
Colin : Je pense que quand tu es musicien tu essayes de toucher à tout. Tu fais de la musique, ensuite il faut faire une pochette, il faut faire un T-shirt. Tu touches déjà au graphisme à l’esthétique…
Tim : Mais c’est dur aussi toi (Colin) tu fais beaucoup d’autres médiums. Je pense que tu es doué dans beaucoup de choses. C’est beau de regarder un de tes potes et de voir qu’il excelle dans plusieurs domaines.
Lisa : C’est inspirant…
Tim : Oui à fond ! Moi je pense que je ne pourrai pas faire ce que tu fais. Tu es doué dans l’« acting », tu es doué dans beaucoup de choses…
Colin : …quand tu as des opportunités tu te jettes dedans…
Tim : Mais il faut aussi avoir un feeling il a beaucoup de talents cachés en fait il est très humble…
Lisa : … Pourquoi cachés ?
Colin : Non, non c’est vrai : la photo tous les arts, tous les moyens sont connectés. Il y a moyen de raconter la même histoire avec tous les médiums. C’est un peu le but de voir comment on peut raconter une autre histoire. Tu jettes tout dans un pot et ça donne plus de force à l’ensemble. Quand tu projettes la photographie, quand tu fais que la musique ou quand tu fais que la photographie c’est bien, mais quand tu peux faire tout en même temps ça devient quelque chose. Avec beaucoup plus de pouvoirs, beaucoup plus de force pour raconter une histoire.
Lionel : Quel serait le lieu idyllique où vous aimeriez jouer pour mettre plus en avant la musique d’Amenra ?
Colin : On a joué dans beaucoup de lieux : on a joué dans des caves, dans des forêts, dans des églises et ça aide beaucoup. On a aussi filmé un clip dans une espèce de ruine dans les Ardennes en Belgique. Si on pouvait jouer là-bas ça pourrait donner une connexion entre les vidéos et les visuels. C’est dans les ruines d’une abbaye.
Thomas Orlanth : En 2023 si vous deviez définir Amenra en un mot ?
Tim : En un seul mot, moi je dirais « amour » ; ça paraît bête mais quand on y pense c’est le mot le plus juste.
Colin : Oui « amour » et amitié ». Je pense que c’est différent de tous les autres groupes. On fait beaucoup de tournées et de festivals et on rencontre beaucoup de groupes et il y en a tellement qui ne se connaissent même pas. Amenra a de la chance… Amenra pour nous c’est « chance », « amitié » et « amour »…