En novembre dernier nous nous sommes entretenu avec le bassiste de MORBID ANGEL, Steve Tucker à l’occasion de la sortie de leur dernier opus Kingdoms Disdained . L’interview fleuve d’un artiste qui traîne sa basse dans le milieu depuis plus de 22 ans.
Salut Steve. Merci de nous accorder cette interview. C’est pour un site Web français, alors on va parler un peu des fans français de Morbid Angel. Tu as l’impression que les Français connaissent le répertoire ? Comment réagissent les Français lors les concerts ?
Tu sais, le public français de Morbid a changé pendant le temps que j’ai passé avec le groupe. Bien sûr, ça fait pas mal d’années. Mais quand je suis venu en France la première fois, quand on a sorti Formulas, la foule était plutôt limitée. Les fans eux-mêmes étaient formidables, mais les foules n’étaient pas très grandes. Dans les concerts, les gens étaient enthousiastes. Toujours. Et ça c’est l’essentiel – quand la foule se bouge, et ne se tient pas immobile à te regarder.
C’est beaucoup plus intéressant. Mais tu sais, avec le temps, quand on a sorti Gateways, les foules en France étaient beaucoup plus grandes. Je ne sais pas si c’était une question de timing, si la musique est arrivée au bon moment… Il y a certainement quelque chose que je ne maîtrise pas, mais les foules ont explosé. Les gens qui venaient nous voir étaient des fans convaincus, des fans pour le long-terme, pour la vie. Alors je dois dire que toutes mes expériences de la France ont été plutôt spectaculaires.
Aujourd’hui, beaucoup des lieux où j’ai joué ont disparu. Je crois qu’il y en a un qui a explosé lorsqu’un réacteur nucléaire a pété. Quelque chose de ce genre. C’était à… à Marseille peut-être ? Je me souviens plus trop où c’était. La salle s’appelait le Bikini, je crois. Et la salle a explosé[1]. Une autre salle où on a joué a été fermée… la Locomotive, à Paris.
Vous comptez venir en France en tournée pour Kingdoms Disdained ?
Oui, on est en train de reprogrammer les dates prévues pour novembre et décembre. Nous avons dû retarder le début de la tournée à cause du Département d’État américain et de complications de visas. Mais tout est réglé maintenant, et on travaille pour reprogrammer toutes les dates.
Et donc on peut s’attendre à vous voir jouer en France ?
Oui, absolument. Du moment qu’il y a des gens pour venir aux concerts, nous on va jouer. On s’est pas mal débrouillé en France, du moins pendant mes périodes avec Morbid Angel. Il faut dire que j’ai été absent du groupe pendant 10 ans, mais de toutes les années que j’ai passées avec le groupe, notre public français n’a pas cessé de grandir. Et j’espère que c’est toujours le cas.
Le dernier album – Kingdoms Disdained – tu en es content ? Je suppose que tu vas dire oui, car c’est le petit dernier, c’est ton bébé. Tu peux nous en dire plus ?
Tout ce que je peux dire, c’est que je suis gonflé à bloc en l’écoutant. C’est un disque très diversifié, et c’est un poids-lourd. C’est du death métal, bien sûr. J’adore le death. C’est ça que je joue. Dès que je me retrouve impliqué dans un projet, tu peux être sûr que ça devient plus lourd. C’est là-dessus que je me concentre. Où je me sens le plus à l’aise. Alors oui, j’adore l’album. Parfois les gens me demandent « C’est quoi ta chanson préférée ? » Honnêtement, c’est presque impossible pour moi de choisir mon préféré sur cet album. Je suis obligé d’en citer trois, peut-être quatre. Il y a onze morceaux sur l’album, et honnêtement, chaque morceau a sa propre vie. Chacun est spécial.
Alors vous avez réussi ce que vous vouliez en tant que groupe ? Techniquement, vous êtes satisfaits du son ?
Absolument. On l’a enregistré avec Erik Rutan, au Mana Studios. Une des raisons d’aller dans ce studio était qu’on savait qu’on n’aurait rien à faire nous-même du côté technique. Il s’en occupe. C’est son boulot. Et il fait ça très bien. On savait qu’en allant dans ce studio, on n’aurait pas de souci dans ce domaine. On avait qu’à jouer les morceaux en y mettant toutes nos capacités d’artistes, et le laisser faire son boulot.
C’est le top de pouvoir travailler comme ça pour un artiste…
Exactement. Et c’est ce qu’il a fait.
Sur les forums, les gens parlent du nouvel album. Les avis divergent. Certains disent que c’est le retour du meilleur Morbid Angel, comme au bon vieux temps. D’autres disent, non, ils évoluent, comme toujours. C’est du nouveau…Tout le monde voit bien la différence avec le précédent album, en 2011, Illud Divinum Insanus. Tu ne jouais pas sur cet album. Beaucoup des fans n’ont pas aimé Illud. Et ils semblent apprécier le nouveau… Comment compares-tu celui qui vient de sortir avec le précèdent et le reste de la disco de Morbid ?
Ben tu sais, il y a toujours eu cette séparation entre les albums auxquels j’ai participé et ceux que David a fait. Je trouve que tous les albums sont fantastiques. Entre Trey et moi, il y a une sorte d’alchimie. Quand on bosse ensemble, le résultat est plus sombre et menaçant, peut-être un peu plus brutal. Et quand David est impliqué, c’est plus étincelant, plus lisse. Alors c’est différent. Nos approches sont différentes. C’est fort dans un sens comme dans l’autre. Pour beaucoup de gens, ils s’attendent à une certaine agressivité quand ils écoutent Morbid Angel. Pour la plupart des gens qui sont contents de me voir de retour, c’est parce que je suis agressif. C’est un fait. En me voyant revenir, ils espéraient que Morbid Angel reviendrait à quelque chose de plus lourd. Et bien sûr, ils ont eu raison.
Tu as fait beaucoup de scène avec Morbid depuis ton retour ?
On a fait une tournée de cinq semaines aux US. C’était fantastique. Les foules étaient démentes. On a joué des morceaux qu’on n’avait pas faits en live depuis de nombreuses années. On a expérimenté des trucs qui nous faisaient envie, et honnêtement, je peux te dire qu’on s’est éclaté. C’était une vraie réussite. J’y ai pris un grand plaisir et j’ai hâte de remettre ça dans les prochains mois.
Au final, pour moi, la scène, c’est la base, c’est l’essentiel. C’est pas de la pop où quelqu’un te dit ce que tu dois faire, puis tu enregistres ton truc et tu t’en vas et tu ne rejoues jamais vraiment ce que t’as fait, sauf accompagné d’enregistrements. Ça, c’est pas notre truc. Personne dans le groupe est bon danseur. Alors pour nous, jouer en live, livrer une prestation musicale devant un public, c’est ce qu’il y a de plus honnête. C’est tout aussi important que d’enregistrer les chansons en studio. Le but d’enregistrer de nouveaux morceaux, c’est que les gens puissent entendre de la nouvelle musique. Il faut créer de la nouvelle musique, mais jouer en concert, c’est l’essentiel, le cœur de tout ce qu’on fait. Surtout pour un groupe comme Morbid Angel. Aussi pour des groupes comme Cannibal Corpse, Deicide et d’autres… Ce qui compte, c’est de sentir la musique, c’est l’émotion qui te subjugue… C’est ça qui compte.
Tu peux me parler de tes expériences en tournée ? Des bons moments ? Des mauvais trucs qui te sont arrivés ?
Ben, on a passé cinq semaines en tournée, comme je l’ai dit, et on n’a rien vécu de négatif du tout. Le pire, c’est de te réveiller le matin et de devoir chercher un lieu où tu trouveras du café et des toilettes. Mais ça, c’est toutes les tournées, tous les concerts. À part ça, tout c’est bien passé. Tous les concerts étaient formidables. Bon… Y a toujours des trucs bizarres ou drôles qui t’arrivent. Tu sais, ce que je vois en regardant la foule, et ce que la foule voit en nous regardant, c’est pas la même chose. Parfois, je vois des trucs dans le public que le reste des spectateurs ne voient pas du tout.
Par exemple, tu sais, y a certains morceaux, quand on commence à les jouer, pour une raison que je ne comprends pas, les couples se mettent à se bécoter. Alors, comme Morbid Angel n’écrit pas des chansons d’amour, c’est un truc que je ne comprends pas trop. J’ai du mal à ne pas rire en le voyant. Des gens qui trouvent l’occasion d’un moment romantique pendant un concert de Morbid Angel ! Ça me tue. Je le vois presque tous les soirs. C’est Morbid Angel qui joue, mais en même temps, les fans saisissent l’occasion… Pour certaines personnes, t’as des trucs incompatibles, mais d’autres s’en foutent complètement. Ils sont là ; et ils passent un bon moment. Et c’est formidable. C’est pour ça qu’on joue.
L’album vient juste de sortir. J’imagine que c’est ça qui occupe tout ton horizon actuellement. Mais si tu regardes au-delà de cet horizon vers l’avenir, as-tu des idées de ce que tu vas faire ensuite ? Des choses que tu aimerais explorer ?
J’ai pris la décision, il y a trois ou quatre ans, que pour le restant de mes jours sur cette planète, je vais créer autant de musique que possible, jouer autant de concerts que possible, avec toutes les personnes possibles et imaginables. Des gens que j’admire. Évidemment, ça comprend Morbid Angel. Alors quand l’occasion s’est présentée d’investir ma créativité à nouveau dans Morbid Angel, comme j’avais pris cette décision à propos de ce que je veux faire de ma vie, ça m’a beaucoup facilité les choses. Trey et moi, on a toujours créé de la bonne musique ensemble. Je suis toujours enthousiaste de fournir l’effort pour faire quelque chose de spécial avec ce que Trey invente.
C’est un privilège de faire partie de ce processus. Alors, pour Morbid Angel, je veux juste continuer à faire de la musique, et jouer autant de concerts qu’humainement possible. Comme je l’ai déjà dit, pour moi, jouer nos chansons, partir en tournée et jouer live, c’est le plus important pour moi. C’est ça que j’aime le plus. C’est ce qui me donne l’impression d’être vivant. C’est ça l’avenir pour moi. Faire autant de concerts que possible jusqu’au moment où je m’écroule raide mort.
Et au niveau musical, artistique, est-ce qu’il y a des directions que tu aimerais explorer ?
Ça m’est arrivé de temps en temps. J’ai plein d’amis qui sont musiciens. J’ai joué différentes sortes de musiques avec eux. Ça m’est arrivé de tranquillement jouer de la basse pour eux. Et j’ai fait des petits trucs ici et là. Mais pour être honnête, tu sais, mon premier amour, c’est vraiment le death métal. J’ai du mal à l’expliquer, mais mon amour pour cette forme de musique dure depuis plus de 30 ans. C’est un de ces trucs… tu sais même les tout premiers temps du death m’excitent toujours. Aujourd’hui, lorsque j’écoute des groupes qui durent depuis…, ben tu sais, comme Suffocation par exemple. Ça fait presque 30 ans qu’ils jouent, mais leur dernier album est un de mes disques préférés de leur discographie. Ça c’est spécial pour moi.
J’ai toujours pensé au métal extrême comme une forme très proche de la musique classique par certains aspects. C’est beaucoup plus proche du classique que ton rock ‘n’ roll basique. Beaucoup plus proche que la pop. C’est une forme de musique où tu n’es pas limité, ou tu peux suivre ton Esprit là où il t’emmène. Et les gens ont des opinions très diversifiées des directions où la musique peut aller. Les musiques extrêmes sont très variées, et peuvent peindre des scènes très complexes, pleine de couleurs et de sons différents. Mais, il est toujours question de métal. C’est là où je me sens bien. J’aime cette musique.
Tu sais, beaucoup de compositeurs classiques ont écrit leurs meilleurs compos, pas quand ils avaient 25 ans, ou quand ils avaient 19 ans, ou même 30 ans. Certains avaient 45 ou 50 ans quand ils ont écrit leurs meilleurs trucs. Et j’ai l’impression qu’avec le death, beaucoup de ces gars et beaucoup d’entre nous qui sommes actifs dans ce milieu, on s’améliore de plus en plus avec le temps qui passe. On devient meilleurs musiciens. Et tout ça contribue à rendre cette musique plus vivace et enthousiasmante. Je n’ai vraiment aucun désir de me lancer dans une autre forme de musique. Cela dit, j’aime beaucoup écouter différents styles. La musique, c’est une question de mood, de feeling, de l’émotion du moment. Tout dépend de mon humeur. J’ai toujours aimé Pink Floyd, par exemple, un groupe extraordinaire. Et les Beatles… Pour beaucoup de gens, c’est bizarre de m’entendre dire que j’adore les Beatles. C’est quelque chose que j’ai entendu presque tous les jours de ma vie, car j’aime vraiment ça. Alors, il y a toutes sortes de musiques dans ma vie, mais c’est vrai que j’ai tendance à toujours revenir aux trucs plus lourds. Du heavy.
J’ai fait des découvertes et j’ai exploré des trucs vraiment étranges pour moi, comme Katatonia ou My Dying Bride. Des trucs que j’aurais rejeté d’emblée il y a 20 ans… trop lisses pour moi. Aujourd’hui, je suis ouvert et prêt à les écouter. Mais ça ne m’intéresse pas d’en jouer. J’aime jouer ce que je joue. Sur scène, j’ai l’impression de devenir vraiment vivant.
Comment faites-vous de la nouvelle musique dans le groupe ? Tu peux me décrire le processus de création ?
C’est vrai que c’est devenu un processus bien rodé maintenant. Le seul album qui s’est fait différemment, ce serait Formulas. Mais depuis l’époque de Gateways, à peu près, le processus est que j’écris quelques morceaux, Trey écrit quelques morceaux, et la plupart des demos sont faites à la maison, quand on est seuls. Et c’est après dans le cadre du groupe qu’on fait évoluer ça. En fait, tout ce que Trey écrit, il l’écrit chez lui. Il creuse beaucoup plus profondément que moi. Il va tout écrire pour un morceau donné, même noter la partie batterie, même les roulements. Il va placer les roulements de batterie, les coups de cymbales, et tout ça. Et il est très précis dans tout ce qu’il veut.
Moi par contre, par exemple, les chansons que j’ai écrites pour cet album aujourd’hui, même si j’avais pas mal d’idées, en fait, beaucoup de choses ont évolué lorsque je me suis retrouvé avec le batteur, Scotty, dans la même pièce. On s’est retrouvé à écrire trois des morceaux, sur-le-champ, dans la même pièce. Ça c’était différent. C’est un truc que j’ai pas fait depuis de longues années. Mais je dois te le dire, ça m’a vraiment fait quelque chose. C’était un plaisir total de lancer un riff, et tout de suite, le batteur rajoute ses ingrédients à lui. C’est comme ça que j’écrivais quand j’étais tout jeune. Quand j’avais 17 ou 18 ans et que j’avais mon premier groupe. On jouait, on répétait… en fait, ont joué jusqu’à ce que les flics se pointent.
Dès qu’on avait du temps, dès que on avait un garage pour jouer, où un salon, on jouait toujours jusqu’à l’arrivée de la police. Et très souvent, c’était huit heures ou plus. C’est comme ça que je faisais de la musique à l’origine, ce qui m’a fait aimer la musique, ce qui m’a permis de commencer à aimer ce processus créatif. Et de me retrouver à nouveau dans ce processus d’écrire des morceaux sur le vif, ça m’a donné beaucoup de plaisir.
Sur un autre plan, il faut dire que Scotty est nouveau dans le groupe. Et j’ai pu vraiment apprendre à le connaître en écrivant des chansons avec lui. Et je dois te le dire, y’a pas moyen meilleur moyen d’apprendre à connaître quelqu’un que de collaborer avec lui dans ce processus de création. Quand tu intègres la vision créatrice d’une autre personne ou que tu l’intègres dans la tienne, tout peut foirer. Mais quand ça se passe bien, c’est une façon formidable de « se lier » à une autre personne, même si le terme peut paraître un peu bizarre.
Ça t’est arrivé d’être à sec ? Tu es très créatif, mais qu’est-ce que tu fais si tu es en panne ?
Bien sûr que ça m’est arrivé. Je ne sais pas trop… je pense que je dois simplement attendre. Oui c’est une expérience que je connais. Mais quand je remonte dans le temps, avant même d’être dans Morbid, il me semble que j’ai toujours eu un débordement de musique en moi. Ma tasse intérieure a toujours été trop petite pour contenir la musique que je voulais créer. Je suis sûr qu’il y a tellement de riffs de guitare et d’idées de paroles qui me sont passés par la tête… j’aurais pu faire 100 disques, 1000 albums de plus. Mais ce n’est plus comme ça maintenant.
Aujourd’hui, je dois passer du temps à réfléchir à des trucs comme les factures à payer, trouver de l’argent avant tel jour du mois, comme tout être humain adulte. À moins de vivre dans la jungle, ou quelque part de ce genre… Et il y a plein de trucs comme ça, comme l’école à l’époque, qui agissent comme des gommes à effacer, des éponges qui aspirent tous ces moments de créativité et de joie en toi. Cette réalité de « vivre dans le monde de la pop culture », ça te pompe ta créativité.
Alors aujourd’hui, il me faut employer les grands moyens pour vraiment écrire de la musique. Mais parfois, il m’arrive encore de me lever le matin, et j’ai une idée en tête, et j’ai besoin de l’extérioriser, de la noter. Ça m’arrive encore. Souvent, dans ce cas, je dois m’isoler de tous, fuir l’opinion des autres, ne plus m’occuper des bouleversements de la société, des débats, m’enfermer chez moi, dans une pièce que je réserve rien qu’à la musique. C’est pas très grand, c’est sale et c’est le bazar. Mais je rentre là-dedans, je prends ma guitare, je joue, et ce qui se passe, c’est qu’après un certain temps, je retrouve l’inspiration. Toutes mes préoccupations finissent par s’estomper, et le côté créatif refait surface. Et c’est un mode de créativité qui peut m’occuper pendant très longtemps. Et j’aime beaucoup. C’est là que je veux me trouver. C’est le moment, avec le concert live, qui m’importe le plus, émotionnellement.
J’ai fait quelques calculs. Ça fera bientôt 35 ans que Morbid existe. Presque 30 depuis le premier album. 21 ans depuis que tu es impliqué. Comment expliques-tu cette longévité ?
Oui, c’était en 1996. J’ai vraiment l’impression que c’est un des rares genres musicaux où les gens s’améliorent musicalement, tout simplement. Ils deviennent plus créatifs, meilleurs musiciens, avec le temps. Beaucoup des problèmes du début sont dus à… tu sais, on se retrouve avec plein d’idées chaotiques lorsqu’on est tout jeune parce qu’on n’a pas la capacité technique d’exprimer concrètement ce qu’on a dans la tête. Alors, on y introduit une mesure de folie.
On essaye de faire des trucs musicaux qu’on n’a pas vraiment les compétences pour réussir. Mais en vieillissant,… honnêtement, si je devais me retrouver en face de celui que j’étais à 18 ans ou à 25 ans, je pourrais le dégommer, ce mec, techniquement. Je suis bien meilleur musicien aujourd’hui que j’étais dans ma jeunesse. Et y’a pas de secret, ce sont les années passées avec l’instrument qui font la différence. Tellement de styles différents,… aujourd’hui ça fait partie de moi. Et j’en suis reconnaissant. À l’époque, j’étais frustré de ne pas avoir la compétence nécessaire pour extérioriser ce que j’avais dans la tête. Aujourd’hui ce n’est plus un problème. Si j’ai quelque chose en tête, j’arrive généralement à l’exprimer.
Tu as dit que tu apportes de l’agressivité à Morbid Angel. Es-tu une personne agressive ?
Avant oui. Je pense que je suis toujours assez agressif lorsque je discute. Mais aujourd’hui, il me semble que je suis quelqu’un de beaucoup plus patient. Si le temps m’a bonifié, c’est certainement dans le domaine de la patience. Je n’ai plus le temps d’être agressif comme je l’étais. Dans ma jeunesse, j’avais l’idée que mon comportement agressif, plus que tout le reste, c’était ce qui me permettait de réussir en tant qu’individu. Mais honnêtement, j’ai l’impression qu’en réalité, oui je parvenais à faire ce que je voulais faire, mais je détruisais tous ce qui se trouvait sur mon chemin. Aujourd’hui, je ne veux plus détruire tout ce que je rencontre.
Je veux livrer ce que j’ai en moi musicalement, en termes d’idées, mais je n’ai aucune envie de laisser derrière moi un champ de bataille dévasté. Je veux que les gens que je croise en aient le souffle coupé. Je veux pousser les gens à réfléchir. Je veux les emmener vers de nouvelles découvertes, de nouveaux lieux. Mais je ne veux pas laisser la destruction derrière moi. Je veux pouvoir revenir sur mes pas. Quand tu détruis ce que tu trouves sur ton chemin, tu ne peux pas revisiter les lieux où tu es passé. Moi je veux pouvoir revenir.
Parfois quand j’entends les musiques les plus extrêmes, quand j’entends l’agressivité qui se dégage de certains textes, je me dis « Ces types doivent être invivables. » Et toi, les gens ont du mal à vivre avec toi ?
Je pense que je suis effectivement très difficile à vivre. J’ai divorcé deux fois. Alors je suppose que oui, je dois être difficile à côtoyer sur le long terme. Par exemple, lorsque je suis en période de créativité, d’écriture, je ne suis pas gentil. Je ne suis pas agressif avec les gens, je pense, mais je n’ai vraiment pas envie de me trouver en compagnie des autres. Je me trouve dans un autre monde. Je suis dans un lieu magique pour moi. Bon c’est un peu bizarre de dire ça, et j’exagère certainement. C’est pas vraiment comme ça. Mais cet état d’esprit créatif, une fois que j’y suis, je veux y rester. Et je ne veux pas me prendre la tête avec des trucs du genre « Est-ce que je viens de dire quelque chose de déplaisant ? Est-ce que je viens de blesser quelqu’un. ? Dans cette situation, je peux être brutalement franc et honnête. Et il faut dire que ça ne passe pas très bien socialement. La manière dont on s’adresse aux gens, ça compte beaucoup. Mais je suis comme je suis. Je sais que pour beaucoup de gens, je représente une migraine. Je suis capable de rester éveillé pendant trois jours d’affilée, mais à d’autres moments, je veux pouvoir dormir pendant longtemps. Alors oui, dans ces moments-là, je suis certainement plutôt agressif.
Tes paroles, Steve, les textes de Morbid Angel… Les divinités sumériennes, la mort, la dévastation, la destruction… C’est quelque chose que tu as en toi ? C’est juste le folklore de Morbid Angel ? Quels sont tes rapports avec les textes que tu chantes ?
Aujourd’hui, ça a changé… Au début c’était une question de spiritualité. Maintenant c’est devenu plutôt une question prophétique. Je crois que si le monde se dérègle, il finira par se réinitialiser. Pour être honnête, j’ai l’impression que la vie est devenue bien trop facile pour beaucoup de gens. Je n’ai pas de certitude sur la fin du monde, mais je suis convaincu que des changements énormes vont arriver. Par moment, cette planète subit des changements qui effacent tout ce qui précède. C’est arrivé à de nombreuses reprises dans le passé et je suis sûr que ça arrivera de nouveau dans l’avenir.
Merci pour cette interview, Steve. C’est un plaisir de parler avec toi. Peut-être qu’on se croisera quand Morbid Angel joue en France.
Merci à toi, Jonathan. Passe une bonne journée, et à un de ces quatre.
[1] La première salle du Bikini, à Toulouse, a dû fermer suite à l’explosion en 2001 de l’usine AZF située à proximité.