La rédaction d’Among The Living est partie à la rencontre de Perttu Kivilaakso, l’un des quatre piliers d’Apocalyptica depuis ’93. Compositeur virtuose, l’ancien membre de l’orchestre philharmonique d’Helsinki nous parle d’élan créatif, du dernier opus du groupe, et de collaborations aussi inédites que fructueuses. Lorsqu’il n’est pas sur la route, Perttu est avant tout concerné par la dégradation d’une planète qui s’étiole jour après jour. Une conviction forte, qu’il traduit dans un album d’une densité surprenante.
Un rendez-vous avec Apocalyptica
Le prochain album de ton groupe va sortir le 10 janvier. Son titre, Cell-O, fait clairement référence à vos instruments. On dirait également un jeu de mots, proche d’une formule chimique comme H2O. Etait-ce le but ?
Au sein d’Apocalyptica, nous aimons le prononcer « Cell Zero » (cellule zéro en français). Bien entendu, il y a un jeu de mots, ainsi qu’un double sens dans le titre de notre album. Nous avons voulu créer tout un concept autour de nos instruments et de notre musique.
Quels sont les thématiques principales de Cell-0 ?
Notre nouvel album est une réflexion sur l’état du monde dans lequel nous vivons, et sur l’humanité qui le peuple. Il s’agit d’un travail sur l’environnement, sur la nature, et sur l’ignorance de la majorité des gens concernant ces problématiques. Je suis persuadé que beaucoup de personnes se sentent concernées par le changement climatique et la souffrance animale. Cependant, il y a une forme d’impuissance que nous éprouvons tous, lorsque nous réfléchissons à ce que nous devrions changer. Par exemple, je prends l’avion tout le temps. C’est la pire chose à faire pour la planète ! D’un point de vue écologique, mon métier est la pire profession imaginable. Que devrais-je faire, sachant ça ? Tout arrêter ? C’est une vraie question pour moi. Nous pouvons tenter d’accomplir de petites étapes, comme recycler, ou soutenir les droits de l’Homme et des animaux.
De quelle façon as-tu voulu retranscrire ces problématiques qui te tiennent à cœur en musique ?
Ces thématiques ont été le point de départ de la création de Cell-0. Nous avons voulu donner aux gens des images fortes avec cet album, en espérant susciter certains questionnements. Comme, par exemple, est-ce que je fais ce qu’il y a de mieux pour le monde ? Nous ne voulions pas donner trop de détails. Pour moi, chaque morceau est comme un tableau. J’envisage Cell-0 comme une particule, la cellule manquante dans le système de fonctionnement de l’Homme. Nous pouvons dire que c’est une molécule qui nous donnerait la chance de remplacer notre ignorance. Notre album peut être envisagé comme l’outil de défense contre la destruction progressive de notre univers.
Comment parviens-tu à traduire ces thèmes sans l’aide de paroles, avec un rendu entièrement instrumental ?
Pour Cell-0, nous avions envie d’un album immersif, prenant également en compte l’artwork. Le livret de notre disque est doté d’illustrations liées à la thématique principale. Chaque morceau est représenté avec sa propre peinture. Elles traduisent le ressenti, l’atmosphère et les couleurs liées à chaque titre. Cependant, nous n’avions pas non plus envie de trop en dire. Il faut trouver le juste milieu dans ces cas-là. Avec la musique, il s’agit d’un flirt permanent avec les idées. Chaque titre peut s’interpréter de nombreuses façons. Les histoires que l’on raconte peuvent sombrer dans l’abstraction, et c’est une des plus belles choses dans la musique.
Cell-O est le premier album 100% instrumental d’Apocalyptica depuis 17 ans…
Oui, et c’était une décision totalement instinctive ! Notre dernier album avant Cell-0 date de 2015, c’était il y a un long moment. Entre temps, nous sommes partis en tournée quelques années. Lors de notre récente tournée dédiée à nos reprises de Metallica, nous avons à nouveau joué uniquement des morceaux instrumentaux. Nous avons été surpris de voir à quel point notre audience était ravie de nous redécouvrir, simplement en compagnie de nos instruments. Cela m’a rappelé que je déteste l’idée de me répéter. Avec le groupe, nous essayons de trouver la réelle identité d’Apocalyptica.
Cell-O est peut-être la création la plus complexe d’Apocalyptica…
J’ai conscience que Cell-0 est tout sauf un album easy listening. C’est un album compliqué et ardu, qui nécessite une implication de la part de son auditeur. Je suis persuadé que ceux qui partagent mon identité musicale vont ressentir mes émotions. J’ai toujours cru que nous n’étions pas seuls à apprécier un style de musique. Par exemple, Arch Enemy et Amon Amarth font partie de mes groupes favoris. Je me sens artistiquement proche de ces musiciens, et je suis persuadé que je composerais la même chose si j’étais à leur place. Lorsque l’on est sincère, nos créations trouveront toujours un public.
On fait souvent référence à Apocalyptica comme à un groupe de metal néoclassique. Est-ce que ce terme te semble adéquat ?
J’apprécie toutes les descriptions que l’on pourra nous donner. A mes yeux, il est totalement impossible de catégoriser Apocalyptica ! Pour Cell-0, il y a mélange de néo-symphonique un peu dark et d’une inspiration provenant des jeux vidéos. Une grande partie du groove de nos morceaux est issue de mon côté gamer. Lorsque je ne joue pas, je passe beaucoup de temps à écouter des BO de jeux. Je suis convaincu que les choses que nous aimons affectent notre travail. Il est parfois difficile de coordonner nos inspirations différentes au sein du groupe, et il y a parfois même des disputes ! Mais cela représente également la richesse de nos échanges.
Apocalyptica va commencer une tournée Européenne avec Sabaton dès le mois de janvier 2020. Comment est née cette collaboration ?
Les mecs de Sabaton sont absolument adorables. En fait, l’idée vient de leur bassiste, qui est particulièrement créatif et visionnaire. Il appréciait notre travail, et était venu à l’un de nos concerts il y a quelques années. Il nous a parlé d’une collaboration, mais pas d’un simple featuring sur une seule chanson que tout le monde oublierait ensuite. Nous voulons que cette tournée soit incroyable, et qu’elle reste dans les mémoires. Cela confirme qu’Apocalyptica peut s’adapter à de nombreux genres musicaux. C’est amusant, nous pouvons aussi bien jouer avec un orchestre classique qu’un groupe de rock, en passant par des festivals de jazz et du black metal ! Les violoncelles sont très bien harmonisés au style de Sabaton. Il semblerait que nous ayons créé un rendu intéressant.
Avez-vous créé de nouveaux morceaux pour Apocalyptica et Sabaton dédiés à cette tournée ?
Nous avons beaucoup composé ensemble, et avons écrit des chansons inédites. Le premier titre que nous avons sorti était d’ailleurs une reprise d’un de leur morceau programmé prochainement, ce qui a visiblement perturbé tout le monde ! Sabaton a ensuite sorti sa propre version, ce qui a remis les choses au clair. Nous venons de sortir Angels Calling, une magnifique chanson de Sabaton qui a été quelque peu oubliée au fil des années. C’est une façon de la remettre en lumière. Et il reste encore beaucoup de nouveautés à découvrir très bientôt !
Apocalyptica a un emploi du temps déjà bien rempli pour 2020 ! A quand une tournée dédiée à Cell-0 ?
L’année prochaine est en grande partie dédiée à notre tournée avec Sabaton, en Europe et aux Etats-Unis. Nous allons également jouer dans plusieurs festivals cet été, ce qui est très cool. En 2021, nous allons probablement couvrir l’Australie et l’Amérique du Sud. Je trouve que nous sommes dans une dynamique créative très positive en ce moment. J’adorerais créer un autre album d’ici deux ans !
Merci à Perttu.