Rencontre avec Alan STIVELL à l’ocasion de son passage au MOTOCULTOR Open Air 2024
Thomas : Bon, alors déjà merci d’accorder cette interview !
Alan : Merci, c’est à toi.
Thomas : En gros pour moi Alan Stivell c’est un peu LA légende. Donc j’ai plein de questions. Ce n’est pas pour pas pour cirer les pompes évidemment, mais disons que les premiers trucs que j’ai écoutés sur de la musique celtique, à titre personnel, ça a été les vieux albums des années 70 même si j’étais un petit peu plus jeune.
C’est ce qui m’a lancé dans l’intérêt de toute cette vague culturelle. Ce n’est pas pour raconter ma vie, mais c’est simplement pour dire que je ne suis certainement pas le seul et d’ailleurs, il y a beaucoup de groupes dans la scène folk métal qui s’est inspiré fortement de ce que vous avez fait.
Vous faites tellement de choses différentes au point où ça en en devient incroyable. Rien qu’en parler des shows avec l’orchestre national de Bretagne, de la musique classique donc, avec des arrangements assez particuliers.
Le Motocultor évidemment avec un truc un peu plus musclé de la guitare électrique, etc. La tournée actuelle c’est intimiste je dirais, dans des églises, avec orgue électrique, etc. Là on est déjà sur trois choses qui normalement sont totalement incompatibles si on y réfléchit bien…
Alan : Oui parce que je suis comme ça. En fait j’y peux rien dans le sens que c’est l’éclectisme, c’est la curiosité poussée à l’extrême.
Je ne comprends pas en fait comment ne pas être curieux en fait ça me paraît naturel en fait d’être curieux. Donc forcément j’ai été tourné, je regarde le monde, je suis là puis je regarde tout le monde et tout m’intéresse. Et donc je ne comprends pas comment on peut dire « non, ça non, ça non », tout m’intéresse. Ça peut-être une difficulté parfois parce que du coup ça pourrait passer un peu pour du saut du coq à l’âne, peut-être aller un peu trop, et puis manquer peut-être un peu de temps des fois… Parce que il y a l’autre extrême c’est une personne qui va il va adorer la guitare classique et toute sa vie, il va faire du Segovia toute sa vie, il va vouloir atteindre la perfection et s’approcher de la perfection sur un truc précis : la guitare classique. Et je comprends tout à fait çà.
Mais c’est une autre personne qui voit les choses comme ça, qui se passionne tellement pour un truc, mais moi c’est… Il y a quelque chose qu’on peut croire paradoxal, c’est pourtant pas schizophrène, mais il y a d’autres choses… J’ai une passion justement, presque excessive, pour la celtique, pour le monde celtique, oui, pour la culture celtique, qui est tellement extrême qu’elle est au bord de la pathologie. Vraiment une passion folle. Et puis et puis en même temps, dès le moment quand j’avais dix ans quand je rentrais dedans dans le chaudron celtique en fait j’ai tout de suite mes oreilles qui entendent… Mais ça c’est bizarre, parce que je trouve que quand j’entends des trucs chinois, quand j’entends des trucs amérindiens, j’entends des trucs africains puis indiens, je trouve qu’il y a des cousinages.
Quand j’étais enfant, j’ai ressenti ça, donc dès ce moment-là, ça y est t’es ouvert sur le monde donc tu peux avoir ta passion celtique au milieu et puis t’as tout le monde, l’univers entier qui se trouve, qui est là pour toi, qui s’offre à toi et tu dis mais pourquoi je choisirais ? Et alors du coup j’ai envie de tout mélanger et donc effectivement, j’ai dit « mais pourquoi je jetterais ça et ça » ? Mais je ne peux pas choisir… Voilà c’est ça donc tout m’intéresse. Alors à certains moments, peut-être un peu plus dans tel sens et telle sauce même je ne fais pas forcément toujours tout en même temps. Là en ce moment, je fais un peu tout en même temps. Parce que même sur scène dans les concerts habituels. Par exemple là au Motocultor, c’était une heure, mais quand c’est un concert qui va faire une heure et demie une heure trois quarts, donc il va y avoir le côté très rock mais il va y avoir des morceaux beaucoup plus cools, tout simples, donc déjà des choses qui pourraient ne pas être… Certains diraient que ce n’est pas pour le même public.
Et justement ça me plaît bien. Parce que du coup je n’ai jamais eu en tête de dire « je vais essayer d’accrocher un public qui aura un profil comme ci comme ça ». J’ai juste envie de partager ce qui me plaît, que j’aime, ce qui m’intéresse, et le partager avec des gens. Mais ça m’intéresse particulièrement en fin de compte de faire se rencontrer les gens. De faire rencontrer des gens qui ne se rencontreraient pas normalement, mais qui peuvent se retrouver justement à travers ma musique.
Puisqu’on parle de rock ici quand même un peu, c’est amusant que parfois je me suis retrouvé en fait un peu comme si je militais en fait, ma fonction, c’est presque de convaincre des gens d’amener des gens au rock. C’est assez marrant comme histoire, c’est que parfois, c’est ça. Parce que ça a pu arriver même d’une certaine manière, comme je vais amener des gens à la culture bretonne, etc. Mais j’amène des gens au rock aussi.
Ou alors ça pourrait même peut-être à la musique classique un peu comme vous disiez tout à l’heure tu disais tout à l’heure, mais en fait j’ai envie…. Evidemment, forcément on est quand même sur terre, on aurait envie que ça soit un peu plus harmonieux, donc il y a cette envie de faire que les gens se comprennent un tout petit peu mieux… « Mais vous ne vous rendez pas compte en fait ». Il y a tellement d’ignorance, et de les amener à être confronté à se dire « mais merde finalement, c’est pas mal ».
Par exemple hier tu vas voir des gens, qui pourraient être des publics pure métal, qui ne me connaissent pas du tout et puis peut-être qu’ils vont se dire « tiens mais finalement, c’est pas si mal la musique bretonne je pensais pas que c’était ça ».
Le simple fait que les gens ne connaissent pas et puis vont connaître, ça va changer peut-être des choses, et c’est vrai dans tous les sens, et du coup tu amènes les gens…
Parce que là il y a un point quand même qui est très important musicalement, là on va rentrer dans la musique en fait, c’est que j’essaie souvent de faire comprendre à des gens par exemple que quand vous avez du rock ou du métal, vous avez une musique qui va, pour certains, s’ils arrivent du classique ou du jazz par exemple, ils vont se dire « mais c’est un truc de primaire ça c’est tellement simpliste ». Le premier abord, ils vont compter le nombre d’accords, etc. Si t’as un truc en blues « oh il y a trois accords, quatre accords ».
Alors que nous en classique, en jazz, on ne va pas se contenter… Alors d’un seul coup, ils sont incapables de rentrer de comprendre que que la sophistication, que justement tu peux avoir un premier plan qui va avoir une structure qui va être assez simple, et puis en fin de compte toute la sophistication va être cachée à la personne qui n’est pas de cette culture-là qui va pas rentrer du tout dans cette culture, qui ne va pas comprendre, ses oreilles ne vont même pas capter des subtilités et ça c’est énorme, parce que tout est là, dans cette incompréhension sur terre. Chacun pense que la culture du voisin est inférieure à la sienne. Malheureusement, beaucoup de gens sont comme ça, pensent toujours que l’autre est plus simpliste que lui, moins sophistiqué que lui, etc.
J’ai connu ça quand même avec la musique bretonne quand j’étais enfant, les gens rigolaient.
Tu ne peux pas accoler « musique » à « bretonne », ce n’est pas comme ça, c’est pas de la musique, c’était trois notes, un petit biniou qui va sonner faux, et puis t’as une note qui nous énerve. Et puis c’est ça, ce n’est pas de la musique, mais évidemment, il ne sera jamais rentré dans toute la sophistication. On va rejoindre un petit peu ce qui peut se passer dans le rock. Des thèmes qui parfois peuvent paraître un peu simple à certains sur le plan de la structure, le nombre de notes…
En musique traditionnelle bretonne, souvent ça va être très resserré au point de la gamme tout ça va être à resserré. Il y a des subtilités qu’on n’entend pas. Quelqu’un qui vient des classiques par exemple, ne va pas entendre qu’on a des intervalles, des gammes non tempérées, on a plein de choses des intervalles rythmiques… Les trucs qui s’entendent que parce que tu rentres dedans mais sinon au premier abord il va juste rester au schéma de la musique et c’est parce qu’il n’est pas capable d’entendre la sophistication.
Quand j’étais jeune il y avait au conservatoire de Lorient, des profs de musique qui avaient voulu faire grève parce que quelqu’un avait invité un sitariste indien. « Mais quand même, nous on fait de la musique ici, on ne va pas entendre un primitif ». Un sitariste classique indien, c’était un primitif pour certains classiques. Je ne veux pas taper sur les classiques parce que je vais me faire engueuler.
Thomas : Ça s’appelle l’élitisme.
Alan : Heureusement il y a des gens ouverts partout !
C’était une petite réponse pour une grande question ?
Thomas : Non c’était parfait.
Mais justement comme vous avez une grande ouverture d’esprit visiblement, est-ce que vous êtes déjà intéressé à écouter un petit peu ce qui se fait en folk métal des choses comme ça des groupes comme Eluveitie… ?
Alan : Justement j’allais dire Eluveitie, bien sûr que j’écoute, bien sûr !
J’écoute d’autant plus qu’ils reprennent des morceaux à moi des fois
Thomas : Ce ne sont pas les seuls, il y a beaucoup de gens moins connus mais…
Alan : Il y en a un peu partout il y en a même en Russie d’ailleurs, partout en Italie, Suisse… Partout.
Finalement je me sens relativement proche, peut-être que mon petit côté timide qui reste un petit peu, qui fait que je ne vais pas m’extravertir peut-être suffisamment parfois pour chercher dans l’imagerie du folk, parce que quand vous êtes dans un truc un peu gothique et tout ça, vous avez un esprit vestimentaire. Moi, ça reste quand même un peu austère. Donc j’ai pas ce côté-là, mais par contre il y a énormément de points communs.
Je pense que ce j’ai fait dans cette dans cette optique là ça reste proche.
Thomas : Vous avez conscience de l’influence que vous avez pu avoir sur tous ces gens parce que ils seraient pas peut-être arrivé à faire du folk même des choses beaucoup plus connues comme Loreena McKennitt, des choses comme ça, s’il n’y avait pas eu le renouveau de la harpe celtique, peut-être qu’elle aurait fait… De la pétanque…
Alan : J’ai juste la joie en fait savoir, d’avoir pu communiquer ma passion à d’autres personnes en fait.
Pourquoi j’avais besoin de le partager un maximum de gens. C’est parce que je ne pouvais pas supporter l’idée que c’était en train de mourir. Première chose : quand tu te passionnes pour quelque chose, tu ne veux pas que ça meurt et pour pas que ça meurt, tu dois le partager.
C’est pour ça que j’ai j’étais tout de suite dans l’idée qu’il fallait, par tous les moyens arriver à… Pas par tous les moyens, non j’exagère, mais arriver à passer dans les médias, dans les prime time télé, d’avoir des services de presse, parce qu’il fallait faire très vite.
C’est ce que certains que parfois n’ont pas compris, je ne veux pas quand même revenir sur les trucs négatifs, on n’est pas là pour ça. Mais que parfois certains ne comprenaient pas, parce qu’ils pensaient que c’était une recherche commerciale, le fait de vouloir communiquer.
Il y avait la question que le temps était compté. C’était l’avenir de la culture bretonne, la langue bretonne, tout ça était compté vraiment, et la mort était assurée donc il fallait communiquer ça au maximum de gens et pas seulement en Bretagne parce que même pour convaincre à la limite, il faut qu’il y ait des gens qui viennent d’ailleurs, qui s’intéressent et même qui se passionnent pour ça dans le monde entier. Cela amène aussi des Bretons à se dire « merde alors, nous on n’a pas l’air con nous si on rejette un truc que le monde entier… »
Alors évidemment après du coup ça peut même faire un petit peu prétentieux parce que moi je suis sur mes réseaux sociaux, je vais sûrement mettre une photo ici au Motocultor, il y a juste une semaine, je mettais des photos le même genre de photos, mais c’était un festival en Italie et du coup c’est devant 12 000 personnes. Alors c’est pareil, les gens vont dire il se la pète un peu mais finalement t’as envie que… Il reste encore des Bretons par exemple, qui ne sont pas convaincus. Donc les Bretons ils se disent, « mais merde le mec il chante principalement en Breton ».
Et où est ce que j’ai chanté principalement en Breton ? C’est en Australie, en Italie, au Nouveau Mexique, etc. Donc
Ceux qui rejettent vraiment par principe se disent « merde quand même, comment ça se fait ? Il y a un truc ? » parce qu’ils ne peuvent pas comprendre que déjà que déjà toutes les cultures sont égales, tous les peuples, tous les gens sont égaux, tous les peuples sont égaux, donc la culture bretonne a le même potentiel que la culture américaine ou française.
Si t’es un petit peu musicien, tu peux défendre ça aussi bien et un des aspects par exemple que les gens ne comprenaient pas au tout début, c’était chanter dans une langue que presque personne ne comprend. Tu te dis mais attends comment c’est possible ? Tu ne vas pas chanter devant un grand public en Breton ?
Mais et alors ? L’immense majorité des gens dans le monde entier vont écouter des chansons en anglais, ils ne vont pas comprendre les paroles. Ça sonne super bien, on est séduit, ça sonne vachement bien, ils n’ont pas besoin forcément de comprendre. Il y a la musique déjà, puis il y a ce qui porte au point de vue des émotions les sentiments qui passent, ce qui fait qu’en fait, on peut quand même communiquer sans communiquer par les mots.
On peut très bien s’intéresser après, rentrer un peu plus dans les textes, mais on peut déjà communiquer.
Et si on le fait bien, finalement il y a plein de gens qui peuvent être sensibles à ça sur l’ensemble de la planète. Et donc ça peut être en anglais, en breton, en n’importe quelle langue.
Thomas : Donc par rapport à ma question initiale, cette influence, vous en avez conscience, mais c’est juste un effet secondaire de la passion en fait finalement ?
Alan : Mais ce n’est pas secondaire parce que parce qu’en fait quand même… Je disais que je n’étais pas schizo, mais je dois bien l’être un peu quand même ça parce qu’en fait j’ai à la fois un côté militant et un côté artistique. Et j’arrive, je pense, à faire marcher les deux ensembles.
Mais j’ai vraiment les deux côtés. Je suis parti quand même d’une base, d’un mec vachement timide très introverti. Et si j’ai pu me sortir de là, c’est parce que j’avais cette passion là à communiquer donc monter sur scène.
C’était du militantisme quand même, mais ce n’était pas juste « je vais faire un truc naïf, simpliste, des textes engagés mais très simplistes, etc. Vive la Bretagne ! »
J’avais envie qu’artistiquement, mais il y avait, il y a toujours, eu l’aspect militant.
Thomas : On peut dire qu’il s’est passé quelque chose, alors justement artistiquement est ce qu’avec tout ce que vous avez fait là. C’est incroyable est ce qu’il y a quelque chose où vous vous dites « ouais là j’ai les possibilités, j’ai envie de faire ça ». Un truc qui n’est peut-être matériellement pas possible pour X raisons. Est-ce qu’il y a une envie particulière ?
Alan : Oui.
Par exemple jouer ma symphonie celtique numéro 2 par exemple à Carnegie Hall à New York, ça ne me dérangerait pas (rires).
Thomas : C’est une question que je pose à tout le monde quelle que soit le style musical.
En 2024 actuellement, Alan Stivell en un mot qu’est-ce que c’est ?
Alan : Alors non, je ne vois pas comment… J’ai la patate.
Thomas : La patate, mais c’est un mot !
Et bien ça s’est vu ! J’étais au concert hier, je me suis dit quand même ! Parce qu’on ne peut pas négliger le « grand âge » qui arrive, mais je connais des gens de 40 ans qui sont moins en forme ! (rires)
Merci beaucoup, c’était très intéressant !