Entrevue avec Der Weg Einer Freiheit lors de leur passage au Motocultor, réalisé le 19 août 2023
Interview réalisée avec le groupe presque complet, seul manquait Nico Rausch (guitare), à savoir Nikita Kamprad (chant et guitare), Nico Ziska (basse) et Tobias Schuler (batterie).
Elle s’est déroulée quelques heures avant quelques heures avant leur concert.
Thomas Orlanth: Tout d’abord, merci de m’accorder cette entrevue. Vous avez déjà accordé une entrevue à l’occasion du Hellfest à mon collègue Lionel, qui portait sur l’actualité, votre discographie, etc.
Je voulais aborder d’autres sujets.
Dans votre œuvre, vos textes semblent très importants. On sent parfois que cela va très loin, vers un sens profond. J’ai donc quelques questions sur ce sujet, par exemple, à titre personnel, mon titre favori est « Aufbruch » (Finisterre)
Nikita Kamprad : OK.
Thomas : Bien sûr, tout est affaire de goût personnel, mais ce morceau présente un texte issu d’un livre autrichien il me semble, « Le mur invisible » (Die Wand). Pourquoi avoir choisi ce passage ?
Nikita : Oui, ce livre a été adapté au cinéma et j’ai vu en premier ce film. J’ai été très impressionné. En fait, à la base c’est un contexte tout à fait normal. Une femme part en voiture en vacances grosso modo. Soudain, il y a un mur invisible, qui s’avère infranchissable. Il est transparent, mais agit comme une sorte de blocage. A la fin de l’histoire, le livre ou le film nous interroge sur ce que l’on met comme blocage invisible. Un blocage qu’on ne parvient soi-même pas à surpasser. Comme tu l’as dit, cela va très loin, dans la psychologie, car souvent on se met à soi-même des blocages, qui n’ont peut-être pas de raison d’être au fond.
Tout ce cela, je trouvais dans ce film et dans ce livre, du moins, c’est comme cela que je l’ai interprété, très intéressant d’être poussé à réfléchir sur tout ceci.
Thomas : Cela est presque optimiste, car cela nous pousse à dépasser nos propres blocages. Mais quand on écoute le passage qui parle de la chute de l’homme, plus bas qu’un animal, cela semble très très pessimiste au final ? Il ne semble pas y avoir des nuances entre le noir et le blanc.
Nikita : Tout l’album Finisterre a été essentiellement influencé par le livre « Le Loup des Steppes » (Der Steppenwolf). Il parle du combat interne de l’homme, la pulsion animale, les instincts et cette pensée de devoir tout faire conformément aux règles. Surtout de nos jours, il y a tellement de règles auxquelles on doit se conformer, contre lesquelles combattent cette pulsion animale, ses instincts.
« L’homme tombe dans l’abîme devant l’animal » (Der Mensch stürzt am Tier vorbei in den Abgrund). Cela signifie que l’animal reste en haut, ne se suicide pas, contrairement à l’homme qui se met des barrières et des murs dans son esprit, et qu’il ne peut pas dépasser.
J’ai trouvé que cela collait bien.
Thomas : J’ai pris cet exemple parlant, mais lorsqu’on lit tous les textes, du premier au dernier album sorti, on voit que tout est très sombre, mais qu’il y a toujours une lumière au bout. La plupart des groupes dans le style post-metal, bien que je n’aime pas utiliser cette étiquette, sont très sombres, pessimistes. Mais chez vous, il y a une sorte d’art de vivre.
Nikita : Oui, c’est bien moi qui écris les textes, donc ma personnalité s’exprime. Il est clair que pour quelqu’un qui ne s’intéresse pas autant aux textes, cela peut paraître sombre et pessimiste, sans espoir. Mais comme je ne pense pas tout à fait comme ça, il y a l’espoir à la fin du jour. La volonté de faire quelque chose de mieux, à laquelle je crois également. C’est pour ça que transparait toujours ce petit point d’espoir.
Thomas (s’adressant aux autres membres du groupe) : Êtes-vous d’accord avec cette vision, assez personnelle ?
Tobias Schuler & Nico Ziska : Oui, presque entièrement.
Thomas : Ça colle bien à la musique ? C’est mieux comme ça !
(rires)
Je termine mes questions sur les textes, qui sont tous en Allemand, sauf sur le dernier album ? Pourquoi ?
Nikita : Il y a deux chansons en Anglais sur le dernier album. En fait, c’était juste pour essayer quelque chose de neuf. C’était ma première idée. Au début, je me suis décidé pour des textes en Allemand, car c’est ma langue natale, dans laquelle je pouvais m’exprimer le mieux. Par la suite, à travers des interviews, des livres, des discussions, je devenais meilleur en anglais. Je peux maintenant m’exprimer aussi bien, ou du moins, à un niveau dans lequel je me sens à l’aise pour écrire. C’est pourquoi je voulais le tester, et voir comment les autres allaient le percevoir si j’utilisais des textes en anglais. C’est une évolution continue, qui va peut-être aboutir à autre chose la prochaine fois. Peut-être pas vers une autre langue, car je ne connais que ces deux-là, mais peut être vers une autre direction. Je trouve cela important de rester ouvert à ce genre d’évolution dans la musique.
Thomas : J’en ai fini avec les textes, mais d’où vient votre inspiration ? Que ce soit dans les textes ou dans la musique ? Par exemple, pour le dernier album qui a été produit « grâce » au COVID et au temps supplémentaire que cela a amené pour la création.
Tous : Oui, ça c’est sûr !
Thomas : Quel est votre processus créatif ? Aujourd’hui, j’écris un texte, une rythmique, ou quoi que ce soit. Comment cela fonctionne chez vous ? Est-ce que vous y pensez deux mois avant, ou bien est-ce que cela vous vient spontanément ?
Nikita : Chacun va avoir sa réponse personnelle…
Thomas : Oui, bien sûr.
Nico : En général, c’est de lui (parlant de Nikita) qui est à l’origine, que ce soit les textes, les riffs, la mélodie ou même la batterie. Je joue aussi dans d’autres groupes, et en général, j’ai une thématique qui me préoccupe. Par exemple, c’était le cas avec le conflit ukrainien ; ce genre de thèmes, on ne peut pas les ignorer. On peut être inspiré par la musique bien sûr, ça peut être du metal, mais aussi autre chose.
Thomas : Quand tu dis ça peut être autre chose, as-tu un nom en tête ?
Tobias : Non, je n’ai pas d’exemple précis, mais ça peut être une chanson qui passe à la radio. Et on peut se dire « ça c’est cool, on pourrait utiliser ça, le mettre là, etc »
Nikita : Oui, je dois dire que la musique d’autres groupes et artistes sont une source d’inspiration. Cela ne veut pas dire qu’on veut copier quelque chose ou avoir le même son que ce que l’on entend, mais on peut être pris émotionnellement par une musique que l’on aime. Et c’est donc légitime de se laisser inspirer par elle. Pour moi, la musique d’autres artistes est très importante pour mon inspiration, mais aussi les livres, les films, et tout ce avec quoi je peux me relier émotionnellement et où je me dis « OK, cette personne a fait quelque chose de juste, comment je pourrais faire pour améliorer ma propre vision ».
Thomas : C’est comme un démarreur en quelque sorte ?
Nikita : Oui, exactement.
Tobias : La plupart du temps, c’est comme un rêve éveillé ou un cinéma dans sa tête. Par exemple, si je me mets sur mon vélo et que j’ai un peu de temps, que je roule et que je peux laisser mes pensées librement en mouvement, alors j’ai des idées, j’entends de la musique, qui n’existe peut-être même pas. Et je la transcris par la suite.
Thomas : Oui, c’est d’abord dans la tête, et ensuite arrive la vérité ! Et après, il y a la scène, la vérité ultime !
(rires)
Nikita : Il faut juste être ouvert à l’inspiration. Elle peut venir de n’importe où. Mais si on n’est pas ouvert, pas dans la bonne humeur, la bonne condition, alors on ne capte rien. Mais si on est ouvert, et traverse le monde quotidien dans cet état d’esprit, on peut être inspiré par tout et être créatif. C’est une capacité qu’on doit développer d’une manière ou d’une autre, qu’on doit posséder ou acquérir.
Tobias : Mais les antennes sont toujours déployées, chez moi en tout cas. Bien sûr, sauf si je suis en plein stress, mais en général, tout est ouvert !
Thomas : Et là, vous avez quelque chose en tête là maintenant, à part le concert de tout à l’heure bien sûr ?
Nikita : Ça c’est difficile.
Nico : La longue route du retour demain…
(rires)
Nikita : C’est le genre de moment où je ne serais pas inspiré. OK, on a l’habitude des grandes scènes, même si cela demande toujours un effort, mais comme le disais Niko à l’instant, on a un long voyage demain surtout. OK, le concert est le plus important pour le moment. On se concentre là-dessus.
Sur une tournée, où on ne doit pas conduire soi-même, et où on a un peu plus de temps, on se laisse plus inspirer. J’écris parfois un texte qui me vient à l’esprit…
Thomas : Vous avez donné de nombreuses interviews. Il y a souvent un peu les mêmes questions qui reviennent. Quelle serait une question que vous aimeriez que l’on vous pose ? Bien sûr, chacun va peut-être avoir sa propre réponse.
Nikita : Où on se retrouvera personnellement par exemple dans vingt ans. On parle souvent du groupe, mais je trouve que les individus derrière sont aussi importants voire plus importants. Ça serait une question qui m’intéresserait si je parlais à mon groupe préféré. Non pas savoir où en sera le groupe dans vingt ans, mais où en seront les membres.
Thomas : Oui, donc est-ce que je peux poser cette question ?
Nikita : Oui, mais on va attendre la réponse des autres.
(rires)
Tobias : Je trouve difficile de me demander où j’en serai dans vingt ans, mais je peux me demander où je souhaiterai être dans vingt ans. J’aimerai par exemple être encore capable de faire du live, car un groupe demande énormément d’énergie et de temps. Je n’ai pas encore de descendance, mais j’aurai peut-être un jour des enfants, qui mériteront aussi une part de mon temps et de mon attention. Et là, avoir encore assez d’énergie et de temps, voilà ce que je souhaiterai.
Nikita : Oui pourquoi pas. Justement pour Tobias, qui fait le travail le plus physiquement éprouvant d’entre nous, se demande déjà maintenant comment il pourra dans 20, 30 ou 40 ans encore jouer être performant à la batterie, en se préoccupant déjà de ses muscles, de l’aspect physique.
Thomas : Donc comme certains groupes, comme Deep Purple ou d’autres qui vont entrer en maison de retraite avec leur musique.
Nico : Oui, je suis d’accord. Je vais devenir père à l’hiver prochain.
Thomas : Bonne chance !
(rires)
Nico : Oui, l’important c’est d’être en bonne santé, avoir le temps et l’énergie pour pouvoir faire tout cela avec plaisir.
Thomas : Jusqu’à la fin, avoir du plaisir…
Nico : Exactement. Ça serait bien si on pouvait faire que ça, professionnellement, mais cela ne doit pas se ressentir comme un travail, cela doit toujours faire plaisir. Ce n’est probablement pas si simple, à un certain niveau et ne pas laisser quelqu’un de côté, par exemple, ma partenaire avec un enfant. Trouver un bon équilibre…
Tobias : Famille, travail et groupe (rires)
Thomas : Et toi ? En fait, c’était ta question à la base… (rires)
Nikita : Je partage ces deux avis, et je pense pouvoir parler au nom de notre guitariste Nico. C’est important qu’au sein du groupe ces perspectives personnelles doivent être harmonieuses. Que chacun a le même objectif. Cela peut être une cause de rupture d’un groupe, quand les objectifs personnels des musiciens s’éloignent trop. Quand quelqu’un espère ou s’imagine beaucoup plus de choses, dans un temps très court, qu’un autre. Comme tu l’as dit, l’équilibre est important entre la vie privée, avec la copine, l’épouse, et le groupe. En tout cas, que l’on essaie de mettre tout ça sous un même chapeau sans que personne n’en souffre. Pour moi personnellement, je veux toujours pouvoir avoir la possibilité d’écrire de la musique.
Thomas : C’est une attitude très saine !a
J’en arrive à ma dernière question que je pose à tous les groupes que j’interview. C’est un peu compliqué, mais vous avez maintenant un peu d’entraînement !
En 2023, qu’est-ce qu’est pour vous, en un mot, Der Weg Einer Freiheit ?
Nikita : Pour moi, c’est la sécurité (Nikita utilise le terme « Geborgenheit », qui a un sens plus proche d’un sentiment de sécurité dans un environnement protégé et familier)
Tobias : Pour moi, ça tient en deux mots : amitié et performance. J’aime mon rôle de jouer en live.
Nico : Je pensais aussi à amitié, mais je choisirai de manière plus général « joie ».
Thomas : Donc on peut dire que Der Weg Einer Freiheit, c’est sécurité, performance, amitié et joie. Cela veut tout dire !
Nikita : Cela ne sonne pas trop comme on pourrait l’attendre.
Thomas : C’est pour cela que j’ai posé la question au début. Je vous ai vu sur de nombreux concerts, petits ou gros, et on voit bien que l’énergie est toujours là et la joie également.
Je vois beaucoup beaucoup de groupes, et parfois on remarque que c’est un peu comme s’ils allaient à l’usine faire leur travail.
Tobias : C’est ce que je voulais dire en disant que cela ne doit pas devenir un travail. Ça doit devenir un travail, mais pas être ressenti comme tel.
Nikita : Il faut y aller sainement. Même si on existe depuis une quinzaine d’années depuis la première démo, mais on ne peut toujours pas en vivre. C’est dingue quand on y pense !
Tobias : On ne peut pas en vivre, on en est même très loin (rires).
Nikita : On voit parfois des exemples négatifs chez certains groupes, qui misent tout sur quelques années, et qui se cassent ensuite la gueule. Après, la vie n’est pas terminée, mais cela devient compliqué.
On accepte le fait que ce soit un long processus.
Thomas : Merci beaucoup pour cette interview !
Et pour joindre la parole aux actes, le soir même lors du concert, on a pu facilement constater que la noirceur et la violence de la musique se sont harmonieusement mêlées à la joie et à la performance sur scène ! Der Weg Einer Freiheit est certainement un des groupes majeurs dans ce style particulier de black metal.